Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
195
L’ÉCLAIREUR.

tard ; sans prendre le temps de me reposer, je m’élançai sur un cheval, et tout d’une traite, ne quittant ma monture fatiguée que pour sauter sur une autre, je franchis les quatre-vingt-dix lieues qui séparent la Vera-Cruz de la capitale ; j’allai descendre tout droit chez mon frère, il était absent, mais une lettre de lui m’annonçait que, contraint par une affaire urgente de se rendre à la Nouvelle-Orléans, il serait de retour au bout d’un mois et me priait de l’attendre ; mais de ma femme et de ma fille, rien ; des intérêts de fortune que je lui avais confiés, pas un mot ; mon inquiétude se changea en terreur, j’eus le pressentiment d’un malheur : sortant à moitié fou de la maison de mon frère, je remontai sur le cheval ruisselant de sueur et à demi fourbu qui m’avait amené, et qui était demeuré à la porte sans que personne songeât a s’occuper de lui, et je me dirigeai, aussi vite qu’il me fut possible, vers mon hôtel : fenêtres et portes étaient fermées ; cette maison que j’avais quittée si riante et si animée, était silencieuse et morne comme un tombeau. Je restai un instant sans oser heurter a la porte ; enfin, je m’y décidai, préférant la réalité, toute terrible qu’elle pouvait être, à cette incertitude qui me rendait fou.

À cet endroit de sa narration, don Mariano s’arrêta, la voix brisée par l’émotion intérieure qu’il éprouvait et qu’il lui était impossible de dompter plus longtemps.

Il y eut un silence.

Don Estevan n’avait pas changé de position depuis le commencement de la narration faite par son frère, il paraissait plongé dans une profonde douleur et terrassé par les remords.

Au bout d’un instant, Bermudez, voyant que son maître était incapable de continuer son récit, prit à son tour la parole :

— Ce fut moi qui ouvris la porte ; Dieu m’est témoin