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L’ÉCLAIREUR.

semble-t-il pas étrange, comme à moi, maintenant que vous êtes de sang-froid et que vous raisonnez dans toute la plénitude de vos facultés, ne vous semble-t-il pas étrange, dis-je, que soudainement, à un moment donné, sans qu’il soit possible de savoir ni pourquoi ni comment, ces hommes soient tout à coup sortis pour ainsi dire de terre afin de vous prêter main-forte ; puis, lorsque le péril fut passé ou à peu près, ils soient disparus aussi brusquement qu’ils étaient venus, sans laisser de traces de leur passage et sans rompre l’incognito qui les couvrait ; cela n’est-il pas étrange, répondez ?

— En effet, murmura Bon-Affût, je n’y avais pas songé jusqu’à présent, la conduite de ces hommes est inexplicable.

— Voilà justement ce qu’il faut expliquer, s’écria violemment Balle-Franche : la Prairie n’est pas assez habitée pour que, à point nommé, par un ouragan épouvantable, il se trouve là des hommes tout prêts à vous défendre pour la seule satisfaction de le faire ; ces gens, pour agir ainsi, devaient avoir des motifs secrets, un but qu’il est urgent de découvrir. Qui nous dit qu’ils ne faisaient pas partie de la troupe qui vous attaquait, que ce n’était pas un jeu joué afin de s’emparer plus facilement de vous, coup de partie dont notre présence imprévue est venue déranger l’exécution ? Je vous le répète, il nous faut d’abord, et avant tout, retrouver ces hommes, savoir qui ils sont, ce qu’ils veulent ; en un mot, s’ils sont pour nous des amis ou des ennemis.

— Il est bien tard maintenant pour entreprendre une telle recherche, observa don Miguel.

Les deux chasseurs sourirent en échangeant un regard significatif.

— Bien tard pour vous, certainement, qui n’avez pas la clef du désert, reprit Balle-Franche ; mais pour nous, c’est autre chose.