Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
L’ÉCLAIREUR.

quelques pas, elle se blottit dans l’herbe, ferma les yeux et s’endormit ou parut s’endormir.

Le Canadien s’était contenté de sourire en voyant le résultat obtenu par le conseil qu’il avait donné au guerrier ; il avait écouté, en hochant approbativement la tête, les quelques mots échangés entre les deux Peaux-Rouges. Le chef, abîmé dans ses pensées, resta quelques instants les yeux fixés avec une expression indéfinissable sur la jeune femme endormie ; enfin il passa à plusieurs reprises la main sur son front comme pour dissiper les nuages qui assombrissaient son esprit, et se tournant vers le chasseur.

— Mon frère, le visage pâle a besoin de repos, un chef veillera, dit-il.

— Les coyotes ont cessé de glapir, la lune a disparu, une bande blanchâtre s’élève à l’horizon, répondit le Canadien ; le jour ne tardera pas à paraître, le sommeil a fui mes paupières, les hommes doivent tenir conseil.

L’Indien s’inclina sans répondre, posant son fusil à terre il ramassa plusieurs brassées de bois sec qu’il porta auprès de la dormeuse.

Le Canadien battit le briquet ; bientôt le feu jaillit, le bois s’embrasa, la flamme colora les arbres de ses reflets sanglants ; alors les deux hommes s’accroupirent auprès l’un de l’autre, bourrèrent leurs calumets de monachée, le tabac sacré, et commencèrent à fumer silencieusement avec cette imposante gravité que les Indiens, en toutes circonstances, apportent à cette symbolique opération.

Nous profiterons du moment de répit que nous offre le hasard pour faire le portrait de ces trois personnages appelés à jouer un rôle important dans le cours de ce récit.

Le Canadien était un homme de quarante-cinq ans environ, haut de six pieds anglais, long, maigre et sec ; nature nerveuse composée de muscles et de nerfs, parfaitement adaptée au rude métier de coureur des bois, qui