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L’ÉCLAIREUR.

sissiez à sauver votre fortune des griffes de ces fripons ; dans tous les cas j’espère, caballero, que nous ne nous séparerons pas avant d’avoir déjeuné. Je vous avouerai que votre refus d’accepter une part de mon maigre souper hier au soir m’a peiné.

— Oh ! interrompit don Stefano, croyez, caballero

— Vous m’avez donné une excuse fort admissible, continua don Miguel ; mais, ajouta-t-il avec intention, nous autres gambucipos et aventuriers, nous sommes de singulières natures, nous nous figurons, à tort ou à raison, que l’hôte qui refuse de manger avec nous est notre ennemi ou le deviendra.

Don Stefano tressaillit légèrement à cette brusque attaque.

— Pouvez-vous supposer cela, caballero ? dit-il évasivement.

— Ce n’est pas moi qui le suppose, c’est nous tous, la race bizarre à laquelle nous appartenons, c’est un préjugé, une superstition stupide, tout ce que vous voudrez, mais cela est ainsi, fit-il avec un sourire acéré comme la pointe d’un poignard, et rien ne pourra changer notre nature : ainsi c’est convenu, nous allons déjeuner, puis je vous souhaiterai bon voyage, et nous nous séparerons.

Don Stefano prit une figure désespérée.

— Allons, je joue du malheur, dit-il en hochant la tête.

— Comment cela ?

— Mon Dieu ! je ne sais comment vous expliquer ce qui m’arrive ; c’est si ridicule que vraiment je n’ose…

— Dites toujours, caballero ; bien que je ne sois qu’un grossier aventurier, peut-être parviendrai-je à vous comprendre.

— C’est que je vais vous blesser.

— Pas le moins du monde ; n’êtes-vous pas mon hôte ? un hôte est envoyé par Dieu, c’est-à-dire sacré.