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arrière-pensée, avec joie, je dirai presque avec bonheur. Frère, en prison les pensées mûrissent vite : c’est probablement parce qu’on est plus près de la tombe et que la vie apparaît alors ce qu’elle est réellement, un rêve. J’ai beaucoup pensé, beaucoup réfléchi, j’ai pesé avec la plus grande impartialité le pour et le contre des deux questions, je préfère la mort. Je savais ce que tu tenterais pour moi. Ta vie n’a été qu’un long dévouement, mais ce dévouement doit aller aujourd’hui jusqu’à accomplir le plus grand sacrifice, me laisser mourir ! et non pas chercher à me sauver. Un homme comme moi ne doit pas chicaner sa vie ; j’avais engagé ma tête comme enjeu dans la partie que j’ai jouée ; j’ai perdu, je la donne.

— Frère ! frère ! ne parle pas ainsi, s’écria Valentin avec désespoir ; tu me navres.

— Réfléchis, mon bon Valentin, à la position dans laquelle je me trouve : je suis jugé contre le droit des gens ; donc, ma position est belle, mes juges supporteront toute la honte de ma condamnation : si je fuis, je ne serai plus qu’un aventurier vulgaire, un pirate, comme ils disent, prodigue du sang de ses compagnons et avare du sien. Tous mes amis, qui sont morts pour défendre ma cause, ne dois-je donc pas acquitter la dette que j’ai contractée envers eux ? Allons, frère, ne cherche pas à me convaincre, ce serait inutile. Je te le répète, ma résolution est inébranlable.

— Ah ! s’écria de nouveau Valentin, avec un accent de colère qu’il ne put réprimer, tu veux absolument mourir ; songes-tu qu’en mourant tu entraînes avec toi une autre personne dans