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La seule affection qui restât vive et pure dans le cœur de l’ambitieux, c’était son amour pour sa fille, mais cet amour était immense, sans bornes. Cet homme, qui ne reculait devant aucune action, si cruelle qu’elle fût pour atteindre le but qu’il s’était proposé, tremblait devant le froncement de sourcils de cette enfant de seize ans qui, sachant le pouvoir tyrannique qu’elle exerçait sur son père, en abusait sans scrupule. De son côté, don Sébastian connaissait la volonté de fer et le caractère indomptable de sa fille. Aussi trembla-t-il intérieurement en écoutant sa froide déclaration, bien qu’il n’en laissât rien paraître.

Il se détourna d’un air de dédain et donna l’ordre du départ.

Un quart d’heure plus tard, tous les prisonniers étaient en route pour Guaymas, et il ne restait dans l’hacienda que le général don Ramon et doña Luz, surveillés par une garnison de cinquante hommes, commandée par un officier qui avait ordre de ne les laisser communiquer avec personne.

Valentin, en voyant le général sitôt remis de sa défaite, avait jugé la position d’un seul coup : avec sa perspicacité habituelle, il avait compris que, grâce à la trahison de don Cornelio, les pueblos ne se soulèveraient pas, que les hacienderos qui avaient engagé leur parole au comte resteraient à l’écart, que la révolte avorterait, et que le comte, malade et abandonné de tout le monde, en serait peut-être réduit bientôt à traiter avec l’homme qu’il avait vaincu. Voilà pourquoi il avait engagé don Rafaël à ne pas tenter une résistance inutile qui n’aurait pu que le compromettre, et du même coup il avait persuadé à