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de cette décrépitude précoce dont sont victimes les hommes qui se sacrifient sans arrière-pensée au bonheur de l’humanité ; son dos commençait à se voûter, ses cheveux blanchissaient aux tempes, deux rides profondes sillonnaient son front. Cependant, la vivacité de son regard venait démentir cette apparente faiblesse et prouver que si le corps avait faibli dans la lutte, l’âme était toujours demeurée aussi jeune et aussi forte.

Les trois hommes se saluèrent poliment. Le comte et le missionnaire, après s’être lancé un regard profond, se tendirent mutuellement la main en souriant. Ils s’étaient compris.

— Monsieur, dit le comte en s’adressant au général, soyez le bien venu, bien que je sois surpris que vous ayez assez de confiance en des pirates, ainsi que vous nous nommez, pour vous fier aussi complétement à leur honneur.

— Monsieur, répondit le général, le droit des gens a des règles reconnues et respectées par tous les hommes.

— Excepté par ceux que l’on a mis au ban de la société et hors de la loi commune de l’humanité, dit sèchement don Luis.

Le missionnaire s’interposa.

— Messieurs, dit-il de sa voix sympathique, entre vous il n’y a pas d’ennemis en ce moment, il n’y a qu’un père qui réclame sa fille à un galant homme, qui ne refusera pas, j’en suis convaincu, de la lui rendre.

— À Dieu ne plaise, mon père, s’écria vivement le comte, que je prétende retenir contre son gré la fille de cet homme, serait-il mille fois encore plus mon ennemi qu’il ne l’est.