Page:Aimard - Curumilla, 1860.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la vie que l’amertume, et rejetant dédaigneusement tout ce qui est joie et bonheur.

Maintenant, sans qu’il pût se rendre compte de la révolution extraordinaire qui s’était opérée en lui, il sentait instinctivement cette douleur, si caressée, si choyée même, s’amoindrir, s’effacer, prête à disparaître enfin, pour se changer en une mélancolie douce et rêveuse, et céder la place à un autre sentiment fort et vivace, qui, avant qu’il eût songé à lutter avec lui et à l’arracher de son cœur, y avait poussé de si fortes racines qu’il sentait qu’il s’était emparé de tout son être.

Ce nouveau sentiment était l’amour. Toutes les passions sont extrêmes, et surtout illogiques ; sans cela elles ne seraient pas des passions.

Don Luis aimait doña Angola ; il l’aimait de cet amour de l’homme arrivé sur la dernière limite qui sépare la jeunesse de la vieillesse, c’est-à-dire avec fureur, avec frénésie.

Il l’aimait et il la haïssait à la fois, car il lui en voulait de cet amour nouveau qui lui avait fait oublier l’ancien, et lui avait révélé que le cœur de l’homme peut parfois sommeiller, mais jamais mourir.

L’empire que la jeune fille avait pris sur lui était d’autant plus fort et d’autant plus puissant qu’elle formait au physique et au moral le contraste le plus complétement tranché avec doña Rosario, la douce créature aux ailes d’ange, premier amour du comte.

La beauté majestueuse et sévère de doña Angela, son caractère fougueux et ardent, tout en elle avait séduit et subjugué le comte ; aussi lui en voulait-il de l’empire qu’à son insu, il lui avait laissé prendre