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Chades de Laville suivait en frémissant les progrès de cette désorganisation morale de la colonie : il comprenait intérieurement que l’ennemi qu’il lui fallait terrasser afin de redevenir maître de ses compagnons, c’était ce vieux levain de l’aventurier qui bouillonnait toujours au fond de leurs cœurs et leur donnait la haine de la vie calme et paisible qu’ils menaient, au lieu de l’existence agitée aux péripéties étranges à laquelle ils aspiraient secrètement, et peut-être sans s’en douter eux-mêmes.

Car, singulière anomalie du cœur humain, ces hommes, qui voulaient de l’or quand même, qui le convoitaient avec une frénésie sans égale, et qui pour sa possession affrontaient les périls les plus terribles et souffraient les plus horribles misères, dès qu’ils étaient maîtres enfin de ce métal si envié, la plupart ne s’en souciaient plus, ils le regardaient avec dédain et le jetaient sans compter sur les tables des maisons de jeu ou de lieux plus infâmes encore ; on aurait dit que cet or, si péniblement amassé, leur brûlait les mains et qu’ils avaient hâte d’en être débarrassés.

Et cela était vrai, pour les Français surtout ; l’or, pour eux, n’avait de valeur qu’en raison des difficultés qu’ils avaient rencontrées pour l’acquérir.

Véritables aventuriers dans toute l’acception du mot, ce qu’ils aimaient, ce n’était pas l’or en lui-même, mais ce qu’il leur coûtait de luttes, d’énergie et de courage, qu’il fallait dépenser à sa recherche.

Charles connaissait à fond le caractère des hommes qu’il commandait ; il savait que pour les retenir auprès de lui, il lui suffisait de donner une issue quelconque à cette surabondance de séve, à