vent obtenir par force, ils s’en emparent au moyen de la ruse.
Voici le stratagème qu’ils emploient dans la circonstance dont nous parlons :
Ils se couchent à terre comme s’ils étaient morts, lèvent leur queue en l’air, et l’agitent vivement dans tous les sens ; les autruches, attirées par la vue de cet objet inconnu, s’approchent naïves ; on devine le reste : elles deviennent la proie des rusés jaguars.
Les chasseurs, après une marche assez rapide de trois heures, arrivèrent dans une immense plaine nue et sablonneuse ; pendant la route, quelques mots à peine avaient été échangés entre Natah-Otann et ses hôtes blancs ; presque tout le temps qu’avait duré le voyage, il avait marché en avant, causant à voix basse avec le Bison-Blanc.
Les Indiens mirent pied à terre auprès d’un ruisseau et échangèrent leurs montures contre des coursiers que le chef avait pris le soin de faire, pendant la nuit, conduire à cet endroit, et qui se trouvaient naturellement reposés et capables de fournir une longue traite.
Natah-Otann divisa les chasseurs en deux troupes égales ; il conserva le commandement de la première et offrit courtoisement celui de la seconde au comte de Beaulieu.
Le jeune Français n’avait jamais assisté à pareille chasse ; il ignorait complètement de quelle façon elle se faisait : aussi déclina-t-il cet honneur, tout en remerciant le chef de son offre gracieuse.
Natah-Otann, réfléchit quelques instants, puis il se tourna vers Balle-Franche :
« Mon frère connaît les autruches ? lui demanda-t-il.
— Eh ! répondit en souriant le Canadien, Natah-Otann n’était pas né encore que déjà je les chassais dans la prairie.
— Bon ! reprit le chef ; alors ce sera mon frère qui commandera la seconde troupe.
— Soit ! fit le chasseur en s’inclinant, j’accepte avec plaisir. »
Ces premiers arrangements pris, la chasse commença.
À un signal donné, la première troupe, commandée par Natah-Otann, s’enfonça dans la plaine, en décrivant un demi-cercle, de manière à pousser le gibier vers un ravin situé entre deux dunes mouvantes.
La seconde troupe, ayant à sa tête Balle-Franche, auprès duquel se tenaient le comte et Ivon, s’échelonna sur une ligne de front et forma l’autre moitié du cercle.
Ce cercle, par la marche des cavaliers, allait se rétrécissant insensiblement, lorsqu’une dizaine d’autruches se montrèrent dans un pli de terrain ; mais le mâle, placé en sentinelle, par un cri aigu comme le sifflet d’un contre-maître, prévint la famille du danger.
Aussitôt les autruches s’enfuirent en ligne droite, rapidement et sans regarder en arrière.
Tous les chasseurs s’élancèrent au galop sur leurs traces.
La plaine, jusqu’alors silencieuse et morne, s’anima et présenta l’aspect le plus bizarre.
Les cavaliers poursuivaient de toute la vitesse de leurs chevaux les malheureux animaux, en soulevant sur leur passage les flots d’une poussière impalpable.
À douze ou quinze pas du gibier, les Indiens, galopant toujours et piquant de l’éperon les flancs de leurs montures haletantes, se penchaient en avant, faisaient tournoyer autour de leur tête leurs redoutables casse-têtes, et les lançaient à toute volée après l’animal.
S’ils manquaient leur coup, ils se courbaient de côté, rasaient la terre sans ralentir leur course effrénée, ramassaient l’arme, qu’ils jetaient de nouveau.
Plusieurs familles d’autruches s’étaient levées.
La chasse prit alors les proportions d’une joie délirante.
Cris et hourras retentissaient avec un bruit effroyable.
Les casse-têtes sifflaient dans l’air et frappaient le cou, les ailes et les jambes des autruches qui, ahuries et folles de terreur, faisaient mille feintes et mille zigzags pour échapper à leurs implacables ennemis, et, par des coups d’aile à droite et à gauche, s’efforçaient de piquer les chevaux avec l’espèce d’ongle dont est armé le bout de leurs ailes.
Quelques coursiers se cabrèrent, et, embarrassés par cinq ou six autruches qui entravaient leurs jambes, entraînèrent leurs cavaliers dans leur chute.
Les oiseaux, profitant du désordre, s’élancèrent en avant, et, sans le savoir, se sauvèrent du côté où les attendaient les autres chasseurs, qui les reçurent par une volée de casse-têtes.
Chaque chasseur descendait de cheval, tuait la victime qu’il avait abattue, lui coupait les ailes en signe de triomphe, et reprenait la poursuite avec une nouvelle ardeur.
Autruches et chasseurs fuyaient et galopaient comme le cordonazo, ce terrible vent des déserts mexicains.
Une quarantaine d’autruches jonchaient la plaine.
Natah-Otann jeta un regard autour de lui et donna le signal de la retraite.
Les oiseaux qui n’avaient pas succombé à cette rude agression se hâtèrent des ailes et des pieds vers des abris sûrs.
Les morts furent ramassés avec soin, car l’autruche est un excellent mets, et les Indiens préparent, surtout avec la chair de la poitrine, un plat renommé pour sa délicatesse et sa saveur exquise.
Les guerriers allèrent alors à la recherche des œufs, fort estimés aussi, et ils en recueillirent une ample moisson.
Bien que la chasse n’eût duré que deux heures à peine, les chevaux suaient, soufflaient et avaient besoin de prendre du repos avant de retourner au village.
Natah-Otann ordonna de camper.
Le comte de Beaulieu ne s’était jamais trouvé à pareille fête, jamais il n’avait assisté à une chasse