dant la main, j’ai eu tort, je suis une bête brute ; pardonnez-moi.
— À la bonne heure ! je vous aime mieux ainsi ; il ne s’agit que de s’entendre ; maintenant vous êtes disposé à m’écouter, n’est-ce pas ?
— Parfaitement. »
Il y a certaines natures brutales avec lesquelles, comme le comte l’avait fait avec John Bright, il faut employer les moyens extrêmes et leur imposer sa supériorité ; avec ces gens-là on ne discute pas, on assomme ; puis, après, il arrive généralement que ces hommes si intraitables d’abord deviennent doux comme des agneaux et font tout ce qu’on veut.
L’Américain, doué d’une grande force physique, et comptant sur elle, avait cru avoir le droit d’être insolent avec un homme maigre et fluet ; mais dès que cet homme à l’apparence si chétive lui eut prouvé d’une façon péremptoire qu’il était plus vigoureux que lui, le taureau rentra ses cornes et recula de tout ce qu’il s’était avancé.
« Cette nuit, dit alors le comte, vous avez été attaqué par les Pieds-Noirs : j’aurais voulu venir à votre secours, mais cela m’a été impossible ; d’ailleurs je serais arrivé trop tard. Mais comme, pour une raison ou pour une autre, les gens qui vous ont attaqué ont pour moi une certaine considération, j’ai profité de mon influence pour vous faire rendre les bestiaux qu’on vous avait volés.
— Merci ; croyez que je regrette sincèrement ce qui s’est passé entre nous ; mais j’étais tellement aigri par la perte que j’avais subie…
— Je comprends cela, et je vous pardonne de grand cœur, d’autant plus que je vous ai, moi aussi, peut-être un peu trop rudement secoué tout à l’heure.
— Ne parlons plus de cela, je vous en prie.
— Comme vous voudrez, cela m’est égal.
— Et mes bestiaux ?
— Ils sont à votre disposition ; les voulez-vous tout de suite ?
— Je ne vous cache pas que…
— Fort bien ! interrompit le comte ; attendez-moi un instant, je vais dire qu’on les amène.
— Croyez-vous que je n’aie rien à redouter des Indiens ?
— Non, si vous savez les prendre.
— Ainsi, je vous attends ?
— Quelques minutes seulement. »
Le comte redescendit la colline de ce même pas tranquille qu’il avait employé pour venir.
Lorsqu’il eut rejoint les Indiens, ses amis l’entourèrent.
Ils avaient parfaitement vu tout ce qui s’était passé, et tous étaient enthousiasmés de la façon dont il avait mis fin à la discussion.
« Mon Dieu, que ces Américains sont grossiers ! dit le jeune homme : rendez-lui ses bêtes, je vous en prie, chef, et finissons-en. Ce butor a été sur le point de me faire mettre en colère.
— Le voici qui vient vers nous, » répondit Natah-Otann avec un sourire indéfinissable.
Effectivement, John Brigh arrivait. Le digne émigrant, dûment sermonné par sa femme et sa fille, avait reconnu l’étendue de sa maladresse et avait à cœur de la réparer.
« Ma foi ! messieurs, dit-il en arrivant, nous ne pouvons nous quitter ainsi. Je vous ai de grandes obligations, et je tiens à vous prouver que je ne suis pas tout à fait aussi stupide que probablement j’en ai l’air. Soyez donc assez bons pour accepter de vous reposer quelques instants, ne serait-ce qu’une heure, afin que je sois bien convaincu que vous ne me gardez pas rancune. »
Cette invitation était faite d’une façon si ronde et en même temps si cordiale ; on reconnaissait si bien que le brave homme était confus de sa maladresse et qu’il avait à cœur de la réparer, que le comte n’eut pas le courage de le refuser.
Les Indiens campèrent à l’endroit où ils s’étaient arrêtés. Le chef et les trois chasseurs suivirent l’Américain dans son camp, où ses bestiaux étaient déjà réintégrés.
La réception fut ce qu’elle devait être au désert.
Par les soins des deux dames, des rafraîchissements avaient été préparés à la hâte sous la tente, pendant que William, aidé par les deux serviteurs, faisait une brèche dans les retranchements afin de livrer passage aux hôtes de son père.
Lucy Bright et Diana attendaient les arrivants à l’entrée du camp.
« Soyez les bienvenus ici, messieurs, dit la femme de l’Américain en saluant avec grâce ; nous vous avons de trop grandes obligations pour ne pas être heureux tous de vous recevoir. »
Le chef et M. de Beaulieu s’inclinèrent poliment devant la digne femme qui tâchait, autant que cela était en elle, de réparer la maladroite brutalité de son mari.
Le comte, à la vue de la jeune fille, éprouva une émotion dont il ne put dans le premier moment se rendre bien compte ; son cœur se serra en considérant cette charmante créature qui, par la vie à laquelle elle était condamnée, se trouvait exposée à tant de dangers.
Diana baissa les yeux en rougissant sous le regard ardent du jeune homme et se rapprocha craintivement de sa mère par cet instinct de pudeur, inné dans le cœur de la femme, qui lui fait toujours chercher une protection auprès de celle à qui elle doit le jour.
Après les premiers compliments, Natah-Otann, le comte et Balle-Franche entrèrent dans la tente où les attendaient John Bright et son fils.
Lorsque la glace fut rompue, ce qui ne fut pas long entre gens habitués à la vie de la prairie, la conversation devint plus animée et surtout plus intime.
« Ainsi, demanda le comte, vous avez quitté les défrichements avec l’intention de ne plus y retourner ?
— Mon Dieu, oui, répondit l’émigrant ; pour qui possède une famille, tout devient si cher sur la frontière qu’il faut absolument se résoudre à entrer dans le désert.
— Vous, je le comprends, vous êtes homme, et partout vous trouverez à vous tirer d’affaire ; mais