tait pas encore, et ne songeant au présent que pour être heureuse.
Cette charmante enfant était devenue, à son insu, l’idole de toute la tribu ; le vieux Bison-Blanc surtout s’était épris pour elle d’une affection sans bornes ; mais l’expérience qu’il avait acquise par la première éducation qu’il avait tentée sur Natah-Otann, l’avait dégoûté d’en faire une seconde, seulement il surveillait la jeune fille avec un soin tout paternel, redressant ce que parfois il trouvait de défectueux en elle avec une patience et une bonté que rien ne pouvait lasser.
Ce vieux tribun, comme toutes les natures énergiques et implacables, avait un cœur d’agneau ; ayant entièrement renoncé au monde qui l’avait méconnu, il avait retrempé son âme au désert et retrouvé les illusions et les élans généreux de ses jeunes années.
C’était avec un bonheur intime, une jouissance inouïe, qu’il suivait d’un œil jaloux les développements de cette plante vigoureuse, qui, poussant en liberté et regorgeant de sève, lançait à droite et à gauche de puissants rameaux qui faisaient bien augurer de l’avenir.
De ses premières années, Fleur-de-Liane n’avait conservé aucun souvenir ; comme jamais devant elle nul n’avait fait allusion à la scène terrible qui l’avait amenée dans la tribu, d’autres impressions plus fraîches avaient complètement effacé celle-là.
Aimée et choyée par tous, Fleur-de-Liane se croyait enfant de la tribu.
Les longues et épaisses nattes de ses cheveux blonds et dorés comme des épis mûrs, la blancheur éclatante de sa peau, ne pouvaient l’éclairer ; dans nombre de nations indiennes on rencontre de ces anomalies.
Les indiens Mandans entre autres ont beaucoup de femmes et de guerriers qui, s’ils endossaient un costume européen, passeraient facilement pour des blancs.
Les Pieds-Noirs, séduits par les charmes de cette douce jeune fille, faisaient reposer sur elle les destins de leur tribu ; ils la considéraient comme leur génie tutélaire, leur palladium ; leur foi en elle était tout ensemble profonde, sincère et naïve.
Fleur-de-Liane était vraiment la reine des Pieds-Noirs ; un signe de ses doigts roses, un mot de ses lèvres mignonnes étaient obéis avec une promptitude et un dévouement sans bornes ; elle pouvait tout faire, tout dire, tout exiger sans craindre de voir une seconde discuter sa volonté ou contrôler ses actions.
Cette royauté despotique, elle l’exerçait sans la soupçonner ; elle seule ne se doutait pas du pouvoir immense qu’elle possédait sur ces natures brutales et tout d’une pièce qui, en sa présence, se faisaient douces et dévouées.
Natah-Otann s’était attaché à sa fille adoptive autant que les organisations comme la sienne sont capables de se laisser surprendre par un sentiment quelconque.
D’abord, il avait joué avec la jeune fille, comme avec un joujou sans importance, puis peu à peu, au fur et à mesure que l’enfant se transformait et devenait femme, ces jeux étaient devenus plus sérieux, son cœur s’était pris ; pour la première fois de sa vie, cet homme à l’âme indomptable avait senti se remuer en lui un sentiment qu’il ne pouvait analyser, mais qui, par sa force et sa violence, l’étonnait et l’effrayait.
Alors une sourde lutte s’était engagée entre le cœur et la tête du chef.
Il se révoltait de cette influence qu’il subissait ; lui, habitué jusque-là à briser tous les obstacles, était sans force devant une enfant qui, lorsque parfois il essayait de la brusquer, le désarmait par un sourire.
Cette lutte dura longtemps ; enfin le terrible Indien s’avoua vaincu, c’est-à-dire qu’il se laissa emporter au courant qui l’entraînait, et sans tenter davantage une résistance impossible, il se prit à aimer follement la jeune fille.
Mais cet amour lui faisait parfois éprouver des souffrances tellement horribles, lorsqu’il songeait à la façon dont Fleur-de-Liane était devenue sa fille adoptive, qu’il se demandait avec terreur si cet amour si profond qui s’était emparé de son être et le maîtrisait n’était pas un châtiment imposé par le ciel.
Alors il entrait dans des fureurs insensées, redoublait de férocité avec les malheureux dont il surprenait les plantations, et tout couvert de sang, la ceinture garnie de chevelures, il rentrait au village et venait devant la jeune fille faire trophée de ses hideux exploits.
Fleur-de-Liane, étonnée de l’état dans lequel elle voyait un homme qu’elle croyait, non son père, il était trop jeune, mais son parent, lui prodiguait toutes les consolations et les naïves caresses que son attachement pour lui lui suggérait ; malheureusement les caresses de la jeune fille augmentaient encore les souffrances du chef, qui s’échappait à demi fou de douleur, la laissant triste et presque épouvantée de cette conduite incompréhensible pour elle.
Les choses furent portées si loin, que le Bison-Blanc, dont l’œil vigilant était sans cesse fixé sur son élève, jugea qu’il fallait, coûte que coûte, couper le mal dans sa racine et soustraire le fils de son ami à la fascination mortelle exercée sur lui par son innocente enchanteresse.
Dès qu’il se crut certain de l’amour de Natah-Otann pour Fleur-de-Liane, le vieux tribun demanda un entretien particulier à son élève ; celui-ci le lui accorda, sans se douter de la raison qui engageait le Bison-Blanc à faire cette démarche.
Un matin le chef se présenta à l’entrée de la loge de son ami. Le Bison-Blanc lisait à demi couché auprès du foyer allumé au centre de la hutte.
« Sois le bienvenu, mon fils, dit-il au jeune homme ; je n’ai que quelques mots à te dire, mais je les crois assez sérieux pour que tu les entendes sans retard. Assieds-toi près de moi. »
Le jeune homme obéit.
Alors le Bison-Blanc changea complètement de