étaient en grand costume, chargés de toutes sortes d’ornements et d’armes, l’arc et le carquois sur le dos, le fusil à la main, munis de leurs talismans, la tête couronnée de plumes dont quelques-unes étaient de magnifiques plumes d’aigle, noires et blanches, avec le grand plumet retombant.
Ils étaient assis sur de belles housses de peaux de panthère doublées de rouge ; ils avaient la partie supérieure du corps nue, sauf une longue bande de peau de loup passée en sautoir par-dessus l’épaule ; leurs boucliers étaient ornés de plumes et de drap de plusieurs couleurs.
Ces hommes, ainsi accoutrés, avaient quelque chose d’imposant et de majestueux qui saisissait l’imagination et inspirait la terreur.
Plusieurs d’entre eux franchirent sur-le-champ les hauteurs, pressant du fouet leurs chevaux fatigués, afin d’arriver promptement sur le lieu du combat, chantant et faisant entendre leurs cris de guerre.
C’était aux environs du fort et sur la colline que la lutte semblait la plus acharnée. Les Pieds-Noirs, à l’abri derrière les hautes palissades plantées pendant la nuit, répondaient au feu des Américains par un feu non moins vif, s’excitant avec de grands cris à résister courageusement à l’attaque de leurs implacables ennemis.
Du reste, la défense était aussi vigoureuse que l’attaque, et le combat ne paraissait pas devoir finir de si tôt.
Déjà de nombreux cadavres jonchaient çà et là la plaine, des chevaux échappés galopaient dans toutes les directions, et les cris de douleur des blessés se mêlaient par intervalles aux cris de défi des assaillants.
Natah-Otann, aussitôt le signal donné, s’était élancé en courant vers la tente où se tenait son prisonnier.
« Le moment est arrivé ! lui dit-il.
— Je suis prêt, répondit le comte ; marchez, je me tiendrai constamment à vos côtés.
— Venez donc, alors. »
Ils sortirent et s’élancèrent ensemble en tête des combattants.
Ainsi qu’il l’avait dit, M. de Beaulieu était sans armes, relevant fièrement la tête à chaque balle qui sifflait à son oreille, et souriant à la mort qu’il appelait intérieurement peut-être ; malgré son mépris pour la race blanche, l’Indien ne put s’empêcher d’admirer ce courage si franchement et si noblement stoïque.
« Vous êtes un homme, dit-il au comte.
— En avez-vous douté ? » répondit simplement celui-ci.
Cependant, d’instant en instant, la lutte devenait plus acharnée.
Les Indiens s’élançaient, en rugissant comme des lions, contre les palissades du fort et se faisaient tuer sans reculer d’un pas.
Leurs corps jonchaient les fossés, qu’ils comblaient presque.
Les Américains, obligés de faire face de tous les côtés, se défendaient avec l’impassibilité méthodique et résolue d’hommes qui savent qu’ils n’ont pas de secours à attendre, et qui, sans arrière-pensée, ont fait le sacrifice de leur vie.
Dès le commencement du combat, le Bison-Blanc s’était, avec un détachement choisi, emparé de la colline qui domine le fort Mackensie, ce qui augmentait encore la position de plus en plus précaire des défenseurs de la place, qui se trouvaient ainsi exposés à découvert à un feu terrible et bien dirigé qui leur faisait, vu leur petit nombre, éprouver des pertes irréparables.
Le major Melvil, debout au pied du mât de pavillon, les bras croisés sur la poitrine, le front pâle et les lèvres serrées, voyait tomber ses hommes les uns après les autres, en frappant du pied avec rage de ne pouvoir leur venir en aide.
Tout à coup un cri d’agonie terrible partit de l’intérieur des habitations, et les femmes des soldats et des engagés de la compagnie se précipitèrent en tumulte dans la cour en fuyant à demi folles de terreur un ennemi invisible encore.
Les Indiens, guidés par le Bison-Blanc, avaient tourné la forteresse et découvert une entrée secrète que le major ne croyait connue que de lui seul, et qui en cas d’attaque sérieuse et de défense impossible devait servir à la garnison pour opérer sa retraite.
Dès ce moment les Américains se virent perdus ; ce ne fut plus une bataille ; mais un massacre.
Le major, suivi par quelques hommes résolus, s’élança dans les habitations.
Les Indiens escaladaient de toutes parts les palissades privées de défenseurs.
Les quelques Américains qui survivaient s’étaient groupés autour du mât de pavillon, au sommet duquel flottait le drapeau étoile des États-Unis, et tâchaient de vendre leur vie le plus cher possible, redoutant surtout de tomber vivants entre les mains de leurs féroces ennemis.
Les Indiens répondaient aux hourras de leurs ennemis par leur terrible cri de guerre, et bondissaient comme des coyotes en brandissant au-dessus de leurs têtes leurs armes sanglantes.
« Bas les armes ! s’écria Natah-Otann en arrivant sur le lieu de l’action.
— Jamais ! » répondit le major en s’élançant sur lui à la tête des soldats qui lui restaient.
Alors la mêlée recommença plus ardente et plus implacable.
Les Indiens commencèrent à se jeter de tous les côtés, lançant des torches incendiaires sur les toits qui pétillaient et prenaient immédiatement feu.
Le major Melvil comprit que la victoire lui échappait définitivement, et il tâcha d’opérer sa retraite.
Mais ce n’était pas chose facile ; escalader les palissades, il n’y fallait pas songer ; la seule issue était la porte, mais devant cette porte les Pieds-Noirs, habilement massés, repoussaient à coup de lance ceux qui tentaient de profiter de l’issue qu’elle offrait.
Cependant il n’y avait pas à choisir ; le major rallia ses soldats pour un suprême effort et se précipita tête baissée avec une furie incroyable sur l’ennemi, dans l’espoir de faire une trouée.