Page:Aicard - Pierre Puget, 1873.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les enfants endormis sur les genoux des mères,
Les antiques Vénus, adorables chimères,
Tu les fuyais toujours, grand artiste brutal,
Homme plein de sanglots, de fougue et de mistral !

Ô vieux maître, ô Puget, depuis qu’on vit à Rome
Un peuple de martyrs, au nom du Fils de l’Homme,
Dans les cirques joyeux dévoré tout vivant ;
Que Jésus a trahi le monde en le sauvant ;
Depuis que Pan est mort et que Vénus la blonde
N’est plus mêlée aux flots pour caresser le monde,
Ô vieux maître, le monde est triste comme toi !
Le désir désespère, hélas ! et c’est pourquoi
Tu resteras fameux, car, ô puissant artiste,
Ton œuvre souffre, et l’homme est désormais si triste
Qu’il veut voir, prenant part au désespoir humain,
Les pierres se dressant crier sur son chemin !

Tu resteras fameux, car plus on te contemple,
Plus ta figure prend la beauté d’un exemple !
Car, vaste en tes projets, soucieux du détail,
Tu fus, divin manœuvre, un héros du travail ;
Et l’on sent devant toi qu’il reste encore au monde
Un but, une dernière illusion féconde :
Oui, quand l’âme est plus sombre et plus vide d’espoir,
Si l’on saisit l’outil, marteau, plume, ébauchoir,
Ô merveille ! un travail se fait aussi dans l’âme ;
Un espoir la pénètre ; il y naît une flamme,
Elle y grandit, l’inonde et passe dans les yeux ;
Et, l’œuvre terminée, on songe : « Il est des dieux ! »