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Tel le bloc, attaqué par le ciseau vainqueur,
Se dépouille, et déjà l’on voit l’âme du marbre.

Milon, devenu vieux, voulut fendre un tronc d’arbre :
Le tronc, qu’il entr’ouvrit, se ferma sur ses doigts,
Et Milon fut mangé d’un lion, dans les bois.

C’est ce groupe d’horreur que Puget cherche et taille ;
Voyez-le, ce Milon dont le torse tressaille :
Ah ! le pauvre homme fort !… Voyez ce bras tendu
Qui souffre, pris dans l’arbre, et cet œil éperdu,
Cette face hurlante et vers le ciel tournée,
Tandis que le lion, bête fauve acharnée,
Debout derrière l’homme avec des yeux ardents,
A planté dans la chair ses griffes et ses dents !
Oh ! voyez sous la gueule et sous la griffe affreuse
Comme la chair meurtrie en frémissant se creuse,
Et toute la souffrance éparse dans ce corps
Courir jusqu’à l’orteil qui se crispe d’efforts !

C’est là ce que Puget a sculpté. C’est ce drame.
Pourquoi ? C’est que Milon et Puget n’ont qu’une âme ;
Vieil athlète, dompteur des marbres, le Puget
S’est arrêté souvent, vaincu dans un projet ;
La pierre lui dit : « Non ! » comme l’arbre à l’athlète ;
L’impuissance a saisi sa main, troublé sa tête,
Et tandis qu’il criait en vain vers l’Idéal,
Ô sphinx plus effrayant que le lion royal,
Il a senti tes dents le couvrir de morsures,
Et ta griffe, mouvante au fond de ses blessures,
Multiplier en lui des angoisses sans fin,
Ô grand Art dévorant, Monstre ayant toujours faim !