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MAURIN DES MAURES

— Vous en avez tué, père ?

— Si chaque fois que j’en ai tué un, avec ou sans la permission du propriétaire, il était tombé un œil à l’un des habitants des Maures, j’aurais fait un peuple d’aveugles ! répliqua paisiblement Maurin.

Et, montrant à son fils, sur sa gauche, dans le sud-est, une légère dépression du sommet de la colline tout dentelé de pointes de rocs :

— Ça, c’est le col de Saint-Clair. De là, on voit Saint-Clair à ses pieds, la petite vallée, la vieille chapelle en ruines, les vignes et les villas… Et toujours la mer… Tu vois bien le col ? Là, entre deux ou trois de ces pointes, caché par celles de devant, adossé à celles de derrière, j’ai passé de belles nuits à dormir, pendant que de grands coups de mistral me passaient sur la tête. On y est au dur mais on est bien tout de même, avec des coussins de braïsse en fleurs ; on dort, assis, la face vers le large, les yeux tout prêts à s’ouvrir sur le ciel où les étoiles clignent des paupières, nombreuses et grouillantes comme des fourmis sur un chemin de montagne, après la pluie.

— Et pourquoi dormiez-vous là, père ?

— Pour attendre les pigeons, donc ! Par le mistral, c’est, pour tuer des ramiers, un fameux endroit ! Seulement, là, on est toujours trop de gens. Quand un pigeon tombe, tous les chasseurs se le disputent. J’aime mieux être seul, mais c’est un bien bon endroit. C’est amusant d’être là. Les oiseaux viennent de l’est, contre lèvent qui souffle comme un enragé. Ils suivent le fond de la vallée, puis vous les voyez remonter vers vous : pinsons, chardonnerets, hirondelles, ramiers… Ils remontent le long de la colline qui est sous vos