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MAURIN DES MAURES

« — C’est rapport à mon costume que je n’avais pas mis depuis mon mariage avec ma pauvre femme qui est morte, pechère ! voilà trois semaines !

« — Mais, insistai-je, pourquoi vous êtes-vous habillé en bourgeois, vous, un travailleur de la terre, précisément un jour d’émeute populaire ?

« — Eh ! dit-il gravement, je me suis fait pour un peu venir voir la Révolution ! »

— Voilà, dit le préfet, un discoureur intéressant et adroit. Mais qu’en pensa votre ami de Lyon ?

— Il fut désarmé ; et les grévistes, voyant qu’il comprenait leur caractère, lui bâtirent sa villa joyeusement. Il espère bien mourir dans ce pays de gaieté.

— Et l’homme au discours, vous ne l’avez pas perdu de vue, je suppose ?

— Certes, non !

— Et qu’est-il devenu ?

— Ce qu’il est devenu ? c’est encore toute une histoire.

— N’hésitez pas à me la conter.

— Il est devenu marchand de larmes.

— Marchand de larmes ? vous m’intriguez.

— La mort de sa femme l’avait orienté vers les choses funèbres. Il s’était efforcé, comme vous l’avez vu, de se distraire en assistant, vêtu de ses sombres habits de noces, aux émeutes populaires, mais les émeutes, par bonheur, ne durent pas toujours ; les travaux de la campagne ne l’intéressaient plus parce qu’il avait l’étoffe d’un homme public, le tempérament d’un tribun, un vrai talent d’orateur. L’école primaire en avait fait un aspirant bourgeois. Il voyait grand, il rêvait une vie supérieure à sa fortune. Que faire ? Il eut une idée géniale. Il s’établit marchand de larmes.