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MAURIN DES MAURES

« — Et d’ailleurs, citoilliens, quelle heure est-il ?

« — Sept heures manque un quart ! cria la foule.

« — Eh bien, citoilliens, outre que c’est l’heure d’aller dîner, c’est l’heure où la nuit commence… La nuit, citoilliens ! la nuit n’est pas le jour. Ce n’est pas dans la nuit comme des malfaiteurs, c’est dans le jour que vous devez débattre les intérêts de la liberté !… Vous voulez tous la justice, n’est-ce pas ? Eh bien, la justice apparaîtra avec le soleil. On vous rendra justice demain, au chant du coq, au grand soleil de la République ! Allez vous coucher. »

« Une acclamation formidable salua ce discours ;

« — Vive la République ! »

« Et la foule se retira, satisfaite, sans aucun désordre.

« Alors, je dis à l’homme noir, jeune et maigre :

« — Qui êtes-vous donc, mon ami, pour avoir, si jeune, une pareille influence sur tout ce peuple ?

« — Moi ? me répondit-il avec un calme sourire, moi, monsieur Cabissol ? je ne connais personne ici, et personne ne me connaît… seulement je sais leur parler, voilà tout.

« — Mais, lui dis-je, vous me connaissez donc ?

« — Pardi ! je vous ai vu passer quelquefois à la chasse, sur mon petit bien, près de Draguignan. Quand je suis là que je laboure et que vous passez, vous me demandez toujours si c’est dur ou mou, si ça se fait bien… enfin quoi ! vous n’êtes pas fier. Alors, comprenez, j’ai trouvé avec plaisir cette occasion de vous rendre un petit service… Vous ne savez pas mon nom ? On me dit Bédarride.

« — Ah ! lui dis-je, stupéfait… merci, je ne vous avais pas reconnu.