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MAURIN DES MAURES

« Une idée alors me vient du ciel ! J’ôte vivement mon carnier de l’épaule et, sans souffler un mot, je te le lui flanque dans les bras, le carnier avec la lièvre, une chose énorme, comme tu n’en as jamais vu, mon homme, une chose comme un bœuf !

« Et frrutt ! je disparais dans la bruyère comme un petit lapin, avant qu’il ait pu se reconnaître, ni me reconnaître. C’est drôle, qué ? Je ne sais pas comment il aura pu se tirer d’affaire avec un paquet pareil entre les bras ! Il est peut-être encore là-bas sur place ! Imaginez donc ! une lièvre comme on n’en a jamais vu, mon ami, une chose lourde et grosse comme un chameau !… C’est beaucoup regrettable. Et cependant, pour me n’en sauver, pechère, je la lui ai offerte de bon cœur !

Pastouré retira sa pipe de sa bouche avec la main gauche et tendit son poing droit, le pouce levé, bien roide.

— Ce que je regrette le plus, dit Maurin, c’est le carnier de Pastouré, mais ce qui me console, c’est que son nom n’est pas dedans.

Pastouré fit un geste d’insouciance.

— C’est égal, dit Maurin, elle est forte celle-là ! On a bien raison de dire que, même quand il est dans le carnier, le gibier n’est pas encore au chasseur. On ne le tient bien qu’au bout de la fourchette.

Les auditeurs de Maurin s’attardèrent un moment à commenter l’aventure, s’égayant à l’idée de l’étonnement du gendarme.

Ce soir-là, les histoires de chasse défrayèrent seules la conversation, et M. Cabissol ayant émis cette opinion que, par avarice, tout paysan qui a pris un lièvre en fraude se ferait tuer plutôt que de l’abandonner aux