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MAURIN DES MAURES

« Je revenais donc avec mon carnier, c’est-à-dire le tien, jeté sur mon épaule, et cette lièvre dedans qui devait bien aller dix livres, mon ami ! une chose comme un petit veau ! et j’avais pris à travers bois pour ne pas suivre le chemin afin de ne pas faire de mauvaise rencontre.

« Mais, figurez-vous, monsieur Rinal, qu’en un certain moment, pas très loin de Bormes, il m’a fallu quitter le bois et traverser la route. La route traversée, je comptais rentrer dans le bois de l’autre côté, pour attraper les sentiers que je connais et me rendre ici en passant par-dessus la colline.

« Eh bé ! voyez un peu ma chance, monsieur Cabissol : au moment où, dans la solitude du gros bois, je me serais fait l’effet d’être à cent mille lieues de toutes les gendarmeries — si j’y avais pensé, aux gendarmes ! — voilà qu’une chose extraordinaire me surprend. Il faut dire qu’il n’y avait dans le ciel qu’un petit rien du tout de quart de lune mince comme une faucille qu’on a usée à force de la passer à la meule.

« Je voyais mon chemin, comme un aveugle, avec les yeux de l’habitude. Je descendais la colline ; et j’arrive enfin devant la route en contre-bas que je voulais traverser ; j’étais sur le talus, au-dessus du fossé, je saute sur la route, d’un mètre de haut, et voilà-t-il pas que je tombe juste devant un gendarme arrêté dans l’ombre d’un chêne-liège, et qui, je pense, m’écoutait venir !… Il était à l’affût, lui aussi.

« Noum dé pas Diou que mi diou ! Paouré tu, Môourin, siès perdu ! » — Il ne devait pas m’attendre sitôt, car, lui aussi, il était là, saisi, gelé, pétrifié, quoi ! mais, tout en un coup, il avance les deux mains pour me prendre.