Je préparai un tas de cordelettes, longues comme la distance du bec d’un canard à son estomac… et j’attachai à un bout de ces cordelettes un appât alléchant, lard ou vermisseau ; à l’autre bout une cocarde rouge. Vous devinez ce qui arriva.
« Un beau matin, tous les canards de Solliés (ils étaient des centaines et des centaines !) apparurent avec une cocarde rouge, collée au coin du bec… ils avaient avalé l’appât, la ficelle avait suivi vivement, et la cocarde était venue, à droite ou à gauche du bec, s’appliquer elle-même comme au bord d’un bonnet de la Liberté.
« Et « coin ! coin ! coin ! » les canards dans tout Solliés allaient de-ci et delà, comme des fous, ne pouvant ni avaler ni détruire la cocarde, et proclamant malgré eux la République, à la barbe de tous ces imbéciles de royalistes qui s’attroupaient sur le pont, pendant que les canards se réfugiaient dessous. »
« Voilà, poursuivit Maurin, ce que me racontait mon grand-père ! et c’est une des raisons qui font que je ne tire pas volontiers sur des canards : il me semble que je tire sur des amis, vu qu’ils ont proclamé la République à Solliés, quand il y avait du danger à le faire. C’était bien malgré eux, j’en conviens, mais, de cette manière, ils n’en sont que plus pareils à beaucoup d’hommes.
« Je n’aime donc pas la chasse au canard. En voici pourtant une que je vous veux conter :
« Un chasseur de la ville rentrait chez lui, sans perdreau ni lièvre dans son sac, comme de juste, bredouille enfin. Il avait de belles guêtres, un carnier à filet, fermé par une couverture reluisante, poilue comme les malles du temps passé, mais il n’avait rien tué.