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MAURIN DES MAURES

Alors, vois-tu, aux deux premiers bons repas, ça crèvera comme un sac usé. Prends-le donc chez toi et ne lui refuse rien. Mets sur ta table, tous les jours, des côtelettes, beaucoup, et du gigot, dont tu profiteras… Ah ! si je pouvais être à ta place ! Mais je suis seul, pechère ! sans femme et sans argent ; et je ne pourrais pas, comme toi, faire toutes ces avances… Fais comme je te dis, et en moins d’une semaine, il sera mûr, le ladre, pour le cimetière. Sur la nourriture qu’il ne payera pas il va tomber comme les sauterelles sur le blé en herbe. Il mourra de son avarice, et ce sera pain bénit.

« — Je te remercie du bon conseil, Magaud, me dit Latrinque en s’en allant, mais, vois-tu, faut de la prudence… et je n’irai pas si vite… Pas moins, je suivrai le bon conseil, mais je n’irai pas si vite !

« — Tu auras tort : réfléchis qu’il faut que la nourriture le surprenne ! »

« Latrinque se mit à bien nourrir le Canonge, mais voilà que le Canonge se mit à engraisser !

« Alors je dis à Latrinque :

« — Étrangle tes poulets ».

« Il les étrangla. Même il tordit le cou, avant la Noël, à deux dindes qu’il réservait pour la fête de Notre Seigneur. Tant et si bien qu’un jour où Latrinque travaillait au bout de sa vigne, en attendant mon aide, l’idée me prit, comme je l’allais rejoindre, d’entrer dans sa maison pour voir comment se portait le Canonge ; j’allais comme qui dirait visiter les pièges. La table était encore mise, monsieur, avec une nappe, monsieur ! des bouteilles de plusieurs grandeurs et beaucoup de côtelettes et aussi du poulet, et aussi du bœuf et du cochon rôti. Et devant la table, par terre, les bras