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MAURIN DES MAURES

Le chien bondit. Le lapin déboula avec la violence d’un projectile qui sort du canon et, quittant la mussugue et enfilant un sentier, demeura un moment bien visible pour Pastouré… qui tira ! Le lapin redoubla de vitesse. Manqué !… Pastouré fut si étonné qu’il en oublia de le doubler.

Il regardait avec stupeur le petit derrière blanc si pareil à une cible, sous la courte queue en point d’exclamation, drôle et moqueuse.

— Manquer un lapin ainsi ! Le manquer ainsi !

Pastouré sentit sa poitrine se gonfler de rage.

Il n’est pas rare qu’en pareil cas un chasseur vraiment provençal brise son arme contre un rocher. En tous cas il agite toujours à voix haute la question de la punir en la fracassant :

— Je le romprai… quelque jour… ce manche à balai !… je ne sais ce qui me tient de le casser contre la roque !

Telle ne fut pas cette fois l’idée de Pastouré. Son fusil n’était pas le coupable, car il était aussi sûr de l’excellence de son arme que de sa propre adresse :

— L’avoir manqué si beau, si c’est Dieu possible ! Non ! Non ! ce n’est pas possible !

Cela tenait donc du sortilège ! Ni le fusil, ni le chasseur n’y étaient pour rien. Une volonté supérieure à toute volonté humaine avait détourné le coup.

— Eri dré ! J’étais droit ! cria Pastouré.

« Ô couquin dé Diou ! brigand dé Diou !

Ce blasphème à peine lancé dans l’air retentissant fut pour lui une suggestion subite.

D’instinct, il venait d’accuser Dieu… il réfléchit et se dit tout à coup qu’il avait bien raison ! Dieu seul était