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MAURIN DES MAURES

« Nous passions sous le feu ; dans ce canot, il grêlait des balles. Un homme est blessé. J’étais debout, incliné vers lui, occupé d’un premier pansement. Quand je me retourne pour prendre des mains de mon petit infirmier une bande de toile qu’il tenait, je le vois couché au fond de l’embarcation, tout blotti, un peu tremblant. Les hommes riaient. Et moi, impatienté, oubliant qu’il pleuvait du plomb, je dis, comme si nous avions été tranquilles dans une salle d’hospice :

« — À quoi penses-tu, gamin ? le linge, donc ! »

« Prompt à m’obéir, l’enfant se leva tout debout, et aussitôt, frappé d’une balle, vint s’abattre contre ma poitrine. Il dit : « Maman ! » et mourut dans mes bras… Je ne m’en suis jamais consolé. »

Il adorait les enfants.

La marque essentielle de cet homme d’élite, c’était son intelligence sympathique des simples, des travailleurs de terre et de mer, des hommes du peuple. Sans effort il se mettait, comme on dit, à leur place, à leur point de vue, et jugeait leurs actes ou leurs intentions du fond de leurs nécessités propres, seules conditions de leur existence. Il comprenait leurs besoins, les circonstances qui les enserraient et les commandaient, les fatalités auxquelles ils sont soumis, l’importance pour eux de ce qui nous semble frivole à nous. Aussi était-il populaire.

Il avait toujours à leur service un conseil judicieux, simple, comme donné par un des leurs, et, en même temps, contrôlé par une haute sagesse.

Au fond, cet homme était un prêtre dans le sens élevé du mot, un recteur, un directeur d’âmes. Il avait pour clients ceux qu’auraient dû rassembler le curé. Le curé en souriait : — « Vous me prenez mes ouailles.