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INTRODUCTION

œuvre violente, « meurt pour l’idéal » ; Élise, la coupable épouse de l’Ibis Bleu, meurt de l’avoir renié ; et Tata, la femme au cœur pur, accepte toutes les souffrances et tous les sacrifices pour le servir.

Voilà pourquoi, réalistes et idéalistes à la fois, les romans de Jean Aicard peuvent être troublants pour les âmes neuves et réconfortants pour les âmes informées ou fatiguées. En tout cas, ils sont toujours moraux, c’est-à-dire que les fautes y sont regardées comme de vraies fautes, que les personnages sont responsables de leurs erreurs, et que la bonté et le pardon triomphent de la méchanceté, et de la colère. Élise, de l’Ibis Bleu, n’est pas emportée par « la passion fatale » des romans à la mode ; et nous voyons comment elle se perd et surtout comment elle aurait pu ne pas se perdre.

« C’était le moment où elle aurait dû ne pas le revoir.

« L’idée lui en passa par la tête. Elle y résista.

« — Je suis si seule ! Quel mal faisons-nous ?.. Pourquoi me priver d’une distraction sans péril ?..

«… C’est pourtant dans ce sophisme murmuré par l’instinct que fut toute sa faute. Jusqu’ici rien n’était compromis. À partir de ce moment la mollesse de sa volonté laissait la porte ouverte aux forces fatales.

« Fuir les occasions, c’est la recommandation profonde de l’expérience ecclésiastique. La liberté de ne pas choir existe, mais avant que le départ dans la chute ait commencé. La fatalité existe aussi. Elle commence à partir de l’heure où la main a lâché sur le plan incliné la bille d’ivoire. Il n’est donc pas vrai de dire qu’il n’est jamais trop tard ; il n’est donc jamais trop tôt pour fuir… Rarement les occasions inclinées, glissantes comme le marbre poli, se rencontrent sous nos pas, avant que nos yeux ou notre esprit aient pu les pressentir.

« La gloire de la volonté humaine, c’est de s’arrêter à temps devant l’abîme. »