Page:Aicard - L’Illustre Maurin, 1908.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
35
L’ILLUSTRE MAURIN

réalisation se fait attendre, car bien des hommes sont méchants, faux, violents, et ceux-là oublient que si tous se doivent à chacun, c’est à la condition que chacun travaille pour tous, de son mieux. Et si les parts sont inégales, c’est que les bonnes volontés ne sont pas égales, et les intelligences non plus. Et l’on ne pourra pas faire qu’elles le deviennent. Il faut donc souhaiter, dans l’intérêt de tous, que les meilleurs et les plus intelligents guident tous les autres ; le gouvernement doit appartenir à l’expérience et à la science. Les bêtes elles-mêmes choisissent leurs chefs d’après cette loi.

Quand M. Rinal, qui s’adressait à l’enfant, leva les yeux sur Maurin, il vit que, le regard fixe, sans un mouvement des paupières, l’homme pleurait.

Tout à coup, Maurin se levant et se mettant à genoux à côté de son fils, le prit à pleins bras et le serra et le baisa, disant :

— Toi, oui, tu seras un homme ! Travaille bien, fisto, travaille, que « le travail c’est la liberté » !

Et avant que le vieux savant eût pu s’en défendre, Maurin avait saisi une de ses mains fines et ridées, qui pendait dans la manchette de batiste au-dessous du bras de son fauteuil, et, malgré les efforts de M. Rinal, il la baisa violemment, sans qu’il y eût la moindre humilité dans ce geste d’enthousiasme et d’amour.

Lorsque cette effusion fut calmée :

— Si je parlais comme ça, dit Maurin, je me ficherais pas mal du tiers et du quart. Alors, oui, je serais un homme. Je sais bien que de connaître son devoir, ça n’empêche pas toujours de mal faire… Mais tout en faisant mal, alors on fait au moins pour le mieux.

Il se tut un moment, puis, secouant son émotion :