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L’ILLUSTRE MAURIN

— Ceux qui ont vu les premières roues, dit Pognon sont loin d’ici, à cette heure ! ah ! ah !

Il ricanait.

— Pas moins, je les ai vues, comme vous me voyez, reprit Trestournel, les premières roues !

— Conte-nous ça, vieux. Ça nous fera passer un moment.

— C’était dans mon village. Dans la montagne, là-haut, là-bas. Dans mon pays, on ne portait qu’à dos de mulets. Un des nôtres, un jour, alla à la ville, à Draguignan. Et là, il vit les premières roues ; il y a de cela bien des années. Au retour, il nous expliqua comment, sur une traverse, entre deux de ces roues, on mettait une caisse avec de longs bras, et comment, entre les bras de la caisse, un seul mulet attelé tirait les roues qui tournaient, et comment on enlevait de cette manière des poids plus lourds que ceux qu’un mulet peut porter. Alors, quand celui-là eut assez d’argent pour en acheter, des roues, il retourna encore à la ville avec son mulet et les « ensaris » (double sac de sparterie). Il acheta deux des premières roues qui aient été faites, et il revint au village avec les roues dans les ensaris, une à droite et l’autre à gauche. Et tout le village courut à sa rencontre ; et moi avec les autres enfants, nous allâmes au bas de la côte, et nous revînmes au village en dansant de joie devant les premières roues qui arrivaient. Celui qui les avait achetées les mit à terre debout contre son mur, près sa porte, et tout le village, durant des jours, vint les visiter. Mais comme il n’y avait pas de chemins chez nous pour faire rouler des roues, elles restèrent là, toujours. Elles y sont peut-être encore, que ça c’était les toutes premières