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L’ILLUSTRE MAURIN

et les cent fenêtres de cette longue cité en marche couraient vers d’autres clartés, vers d’autres villes.

Le jour, on s’enfonçait dans le couloir profond de l’étrange et haute demeure, et l’on se livrait au travail acharné, monotone, au travail coupable, qui donne, quand même, le pain, un peu d’espérance, parmi les misères, le néant de vivre.

L’espoir, obstiné, disait à tous : « Qui sait ? Tout s’apaise. Cachez-vous. Vous pourrez peut-être un jour, naufragés du monde social, revenir à la vie commune, passer dans les places publiques, aux jours de fête. Alors, vous reverrez des marchés, des boutiques, des maisons. Ici, rien, l’ombre, l’odeur des tabacs mal mûris, pas une lampe, l’ennui dans le travail, la captivité, — mais préférable à l’emprisonnement parce qu’on peut s’imaginer, par moments, l’avoir choisie et qu’on peut la fuir. L’échelle de corde n’est-elle pas là, sous votre main ? »

Maurin roulait confusément ces pensées en lui-même, tout le jour, et il se sentait cruellement le frère de ces bannis. Il ne les méprisait pas. Il souffrait leur misère, et il aimait leur humanité, car il recevait d’eux tout ce qu’ils avaient de bienveillance, les pauvres !

À cette époque, les contrebandiers de tabac n’étaient plus que cinq dans la caverne de Roquebrune : un adolescent, un vieillard très vieux, deux échappés de Nouméa, et enfin un pauvre diable d’estropié, cagneux, un peu bossu, d’âge mûr, qui ne trouvait de travail nulle part, dont on se moquait dans les villes, et qu’on avait dû hisser, la nuit, jusque dans la caverne, — comme on élève les chevaux à bord des bateaux et comme on avait fait pour Maurin.