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L’ILLUSTRE MAURIN

sol, jusqu’au jour où tu auras de quoi le payer d’autre chose que de la faiblesse envers toi de ton mari qui, apparemment, te gâte trop. En quatre-vingts ans qu’elle a vécu, ma mère ne s’est abritée que d’un chapeau bien large, de ceux qu’on se met dans le dos lorsqu’il ne pleut pas ou que le soleil n’est pas trop fort. Je suis sûr que tu méprises déjà tes petites amies d’autrefois, qué ? parce qu’elles ont fait un moins joli mariage que toi, bien que tu n’aies pas épousé un mylord ?… Et dire que c’est toujours comme ça, le peuple ! Pourquoi alors s’intéresser à son malheur et vouloir qu’il en sorte, s’il n’en doit sortir que pour être méprisant à son tour et continuer le malheur des plus pauvres ? Vois-tu, ma fille, les gens comme Pastouré et comme moi, toute la vie nous avons reproché à beaucoup de riches leur air de dire : « Nous sommes des princes ! des gens plus haut que le peuple ! et nous méprisons ceux des basses classes ! » Et ces riches si orgueilleux souvent avaient pourtant — comme nos officiers à bord — quelques raisons justes d’être fiers, puisqu’ils étaient des savants et qu’ils conduisaient des bateaux que nous, les simples matelots, nous n’aurions pu que mettre au plein. Mais si à peine ayant appris A et B, aux frais de la République, nos filles se mettent à faire les faraudes, à mépriser le tablier, le costume de travail que portent leurs père et mère, alors, nom de Diou ! ce n’était pas la peine de faire tant d’histoires pour arriver à rendre le peuple pauvre aussi couyoun que le peuple riche ! Je vois en mourant que ce n’est pas la politique qui peut changer les hommes : c’est un peu de morale, mais où la prendre ?… À présent, comme je ne suis pas sûr de te revoir, essuie tes yeux et embrasse-