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L’ILLUSTRE MAURIN

« Et c’était tout le jour Touninetto par-ci, Touninetto par-là, que le cœur m’en remue encore, rien que d’y songer !… Eh bien, voyez pourtant, monsieur, jusqu’où peut aller la malice du monde ! Les gens de chez nous — et c’est bien le pays tout entier, monsieur, — disent qu’il était un ivrogne et que, du soir au matin, il me battait comme poulpe[1] ! »

« La pauvre veuve s’essuya longuement les yeux et, après un silence pendant lequel je me sentis très ému, elle acheva :

« — Alors, je me suis dit : M. Cabissol, qui est si bon, me fera une petite morale dans le journal, pour que tout le monde sache que mon mari ne s’est jamais empégué (saoulé) de sa vie, et que jamais, au grand jamais il ne m’a battue ! »

« De plus en plus attendri, je demandai quelques renseignements supplémentaires, puis je pris une belle feuille de papier blanc et j’écrivis, en m’appliquant à être bien lisible :

« Ici repose Marie-Marius Siblet, cordonnier de son état, habile à faire du neuf avec le vieux. La rumeur publique l’a injustement accusé de boire et de battre. Sur sa tombe, sa veuve inconsolée déclare que ces propos sont de purs mensonges. Et devant Dieu elle le jure, en foulant aux pieds la calomnie !

« — Voilà, ma bonne dame, la morale demandée. »

« Elle prit le papier, le regarda attentivement, me le rendit, se le fit lire et relire, me remerciant après chaque nouvelle lecture, avec des paroles toujours plus abondantes, comme ses larmes.

  1. On bat les poulpes pour les attendrir avant de les faire cuire.