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L’ILLUSTRE MAURIN

« C’est un livre qui ne pourrait être écrit que par un Provençal de vieille souche, par un homme qui ait passé avec les Provençaux la plus grande partie de sa vie ; (j’entends avec les derniers vrais Provençaux populaires, ceux des villages écartés, ou ceux qui vivent dans les bois, — loin des chemins de fer et des villes) ; un Provençal qui connaisse à fond leur accent, leur manière de se moquer et d’être sérieux, de s’irriter et de s’apaiser sans transition, et jusqu’à leur façon si caractéristique de retrousser sur la nuque leur chapeau de paille ou de feutre… Plus j’y pense, plus je crois que Jean d’Auriol peut faire ce livre-là, car il y faut mettre surtout une sympathie instinctive pour la race d’hommes qu’il s’agit de dépeindre : ce n’est en effet que par la sympathie qu’on peut la pénétrer et la comprendre. Du dehors, telle physionomie de ce pays court le risque de paraître ridicule qui, examinée comme elle doit l’être, n’est que comique et satirique. Les Provençaux révèlent volontiers leurs travers pour s’en égayer en artistes et en moralistes.

« C’est là l’esprit même de Molière. C’est là une Provence très « vieille France ». Pour écrire un tel livre, il sera encore nécessaire d’oublier la littérature apprise et les recherches de style. Il faudra conserver à chaque phrase française un tour provençal, une incorrection savoureuse, des néologismes et des barbarismes. Il faudra que dans le transvasement d’une langue dans l’autre, le vin ne s’évente pas trop.

M. Cabissol s’animait :

— Enfin, s’écria-t-il, j’ai trouvé, en Jean d’Auriol, un homme qui m’a compris comme vous me comprenez. J’ai beau catéchiser mon préfet, il n’admire pas autant