Page:Aicard - L’Illustre Maurin, 1908.djvu/328

Cette page a été validée par deux contributeurs.
310
L’ILLUSTRE MAURIN

— C’est que… tout n’est pas drôle… il y a des histoires tristes.

— Va-s-y tout de même.

— Tu connais mon affaire du chien enragé ?

— Quel est celui qui ne la connaît pas !

— Celle-ci n’est pas plus vilaine, mais elle est plus triste encore. J’ai rencontré un jour, il n’y a pas longtemps, au bord de la mer. — je ne te dirai pas où, — l’enterre-mort d’un village, en train de noyer un noyé.

— De noyer un noyé ?

— Oui ; il était sur un rocher, à côté d’un matelot qui était mort noyé ; il lui avait mis une grosse pierre au cou et s’apprêtait à le jeter à la mer, devant lui, par cinq ou six mètres de fond.

— Et pourquoi faire, bon Dieu ?

— Il obéissait à l’ordre de son maire, pour épargner à la commune sur le territoire de laquelle avait été poussé le pauvre mort, les frais du médecin, ceux du cercueil, et que sais-je, moi ! Je ne pus pas l’empêcher… Il le noya.

— Je ne m’étonne plus, dit Saulnier, si bien souvent on entend dire : « Les naufragés de tel bateau n’ont pas été retrouvés ! »

— Le maire de cette commune était de mes amis. Je lui en ai parlé. « Eh ! que voulez-vous, mon brave Maurin, me dit-il, nous y sommes forcés, et cela n’arrive que trop souvent. Nous n’avons pas un buget qui nous permette des prodigalités. »

« Voilà ce que m’a dit ce maire. Mais pas moins, ça me met dans des colères, quand je vois les mêmes hommes, qui te font noyer les noyés, réciter de beaux discours dans les cimetières, sur les tombes, et parler sans rire