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L’ILLUSTRE MAURIN

toutes deux oublier leurs querelles provisoirement, du moins hors du territoire de Bourtoulaïgue ; et qu’elles pourraient figurer toutes les deux à la bravade, si elles s’engageaient à jouer sagement l’une après l’autre, — car, ajoutait-il, « le soleil luit pour tout le monde ».

Les deux fanfares acceptèrent…

Hélas ! l’odeur de la poudre est une suggestive odeur. Forcés de porter, durant des heures, sous leurs bras leurs instruments muets tant que parlait la poudre, les deux fanfares s’impatientaient. Chacun de leurs membres brûlait du désir de se faire entendre, admirer, applaudir. Elles se regardaient de travers, paisibles au milieu d’un excitant fracas de guerre ! Elles piétinaient, honteuses de leur inaction, tandis que grondait autour d’elle le tonnerre des batailles. Et à chaque décharge d’artillerie, tous les musiciens contemplaient piteusement le pavillon des cornets à pistons et des bugles, et ils regrettaient que les trombones ne fussent pas des tromblons.

On sait que l’histoire raconte comment le grand saint Tropez, décapité à Pise, fut déposé et couché sans tête dans une embarcation en compagnie d’un chien et d’un coq — et lancé ainsi à la mer… La Providence le fit aborder sur le rivage auquel il a donné son nom.

Le groupe de bois sculpté, porté à dos d’homme et représentant le saint, le chien et le coq, dans la barque, — dominait les têtes innombrables de la foule. Cette glorieuse image intimidait seule les fanfares ennemies.

On entendit l’une des grosses caisses murmurer : « Ah ! si le saint n’était pas là ! »

Mais le saint était là, et il fallait bien le respecter.