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L’ILLUSTRE MAURIN

mais rien n’est héroïque comme la haine et la musique, mêlées ensemble et s’exaspérant l’une l’autre.

On le vit bien à quelque temps de là. Un terrible coup de mistral ayant en effet pendant six jours retenu dans le petit port les embarcations de Bourtoulaïgue, les membres de la Symphonie faillirent périr en masse, faute d’un croûton de pain à se mettre sous la dent, car, le premier jour, pas un n’alla acheter du pain chez le boulanger de la société rivale. Bel exemple de stoïque énergie, s’il eût été donné pour une meilleure cause !

Et pas un exécutant ne céda. Le second jour, la Symphonie, transformée en société chorale, parcourut les rues de Bourtoulaïgue en chantant :

Mourir pour la Symphonie
Est le sort le plus beau, le plus digne d’envie !


Heureusement les femmes se montrèrent moins entêtées que les hommes. Pour nourrir leurs enfants elles consentirent à acheter du pain dans leur village natal, chez le boulanger de l’Harmonie.

Celui-ci se refusa d’abord à leur en vendre, mais M. Cabissol, informé des incidents de Bourtoulaïgue, y était accouru pour étudier le phénomène ; il télégraphia au préfet qui télégraphia au maire, et l’Harmonie dut nourrir la Symphonie !

Cette inqualifiable lâcheté des épouses et des mères rendit insolents les membres de l’Harmonie. Ils ricanaient sur le passage d’un membre de la Symphonie. C’était un mot d’ordre. À peine apercevaient-ils un de leurs ennemis qu’ils faisaient aussitôt semblant de mâcher quelque chose et se frottaient l’estomac d’un air de jouissance gourmande. Allusion impardon-