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L’ILLUSTRE MAURIN

d’un besoin, impérieux comme la colique, de se faire entendre exactement à la même heure et précisément sur la même place. La population bourtoulaïguoise, divisée par les mille potins insignifiants qui sont le fond déjà banal de la vie au village, était désormais déchirée cruellement par l’âpre rivalité de ses deux fanfares.

Il faudrait remonter, dans l’histoire de France, à la guerre de Cent ans, aux Armagnacs et aux Bourguignons, pour retrouver haine pareille à celle qui animait l’une contre l’autre les deux fanfares de Bourtoulaïgue, Var (postes et télégraphes).

Un des deux boulangers de Bourtoulaïgue étant mort, sa boutique resta fermée quelque temps. C’était le boulanger de la Symphonie.

La Symphonie se demanda aussitôt si elle ne créerait pas une boulangerie spéciale, bien à elle, ou si elle ne ferait pas venir son pain, tous les jours, à dos de mulet ou par le bateau, de Saint-Tropez.

Cette dernière opinion prévalut en assemblée générale. Membres honoraires et membres actifs votèrent comme un seul homme la mise à l’index ou boycottage du boulanger qui pétrissait le pain de l’Harmonie ; il fut décrété que le trombone, qui était pêcheur, irait tous les jours à Saint-Tropez avec son bateau chercher le pain de la Symphonie.

— Et quand donc irai-je à la pêche ? demanda-t-il.

— Tu n’iras plus, lui fut-il répondu ; nous te nommons notre préposé à la fourniture du pain. La Symphonie te paiera ton travail ; nous augmenterons les cotisations de nos membres honoraires, voilà tout.

C’était s’exposer, en cas de tempête, à la famine ;