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L’ILLUSTRE MAURIN

— Je n’ai pas voulu t’offenser, répliqua Maurin, mais là où je dis, avec la permission des maires et des préfets, tu pourrais mourir plus tranquille.

— La tranquillité m’embête ! s’écria Lagarrigue. Je suis trop vieux, inquiet comme j’ai été toute la vie, pour l’aimer, la tranquillité. Je n’aimerai que la dernière ; celle-là, oui, je l’aimerai. À l’hospice du vrai bon Dieu, qui est la terre, — là, oui, je dormirai ! — ou bien par là-bas, un peu loin…

IL regardait, dans le cadre de la lucarne, la mer sombre qui, sous les nuages, grondait, et il acheva :

— Sous l’eau profonde… comme un qui a navigué.

— Je t’ai parlé comme je devais, Lagarrigue. Que chacun essaie d’arranger sa vie à sa volonté, mais je calcule que c’est le moment pour moi de te dire la pensée qui m’amène : je viens pour te reprendre mon fils. Il n’est pas vieux encore, lui. Qu’on l’attrape avec vous, sa vie en sera toute abîmée. Au service de l’État, une fois condamné, il entrera, tête basse, en vaurien, aux compagnies d’Afrique… Je viens le chercher…

— Ah ! bougre de bougre ! dit Lagarrigue, c’est que j’en ai bien besoin, de lui, moi, en ce moment-ci.

— Cherches-en un moins jeune, qui sache ce qu’il fait, qui se rende compte des risques et des dommages. Tu as eu un pitoua, Lagarrigue ? où est-il ? Tu dois me comprendre…

Une seconde fois Lagarrigue se leva, tout pâle.

— Mon petit est quartier-maître, dit-il fièrement, il est à l’État et son commandant est satisfait. Il m’écrit chez mon frère des lettres à faire pleurer… Si l’on surprend mon commerce que, naturellement, j’ai caché à mon petit, on ne me condamnera pas, pourquoi je