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L’ILLUSTRE MAURIN

— Cette nuit, si tu veux, mais j’ai besoin, en échange, d’un service.

— Lequel ?

Lagarrigue s’expliqua.

Une bande de bohémiens, qui n’étaient pas tous de Bohême, s’était établie à demeure dans un bois des Maures, entre la Verrerie et la forêt de Brégançon. Ce bois appartenait à M. de Siblas, de Port-Cros. Les bohémiens, tels des pionniers, avaient abattu nombre de pins, et sur la place nette ils avaient construit non pas des huttes, mais de véritables maisons de bois ; ils s’étaient établis là comme en pays sauvage ou comme en pays conquis, pour un temps indéterminé. Ils n’entendaient pas repartir de sitôt. L’endroit leur convenait. Ils étaient une quarantaine. Leurs habitations formaient un véritable village à proximité des mines de cuivre des Bormettes ; et ces conquérants faisaient plus d’un petit commerce louche, avec les mineurs pour clients. Mais l’autorité s’était émue. On voulait les déloger, ils s’indignaient. Et avec raison, disait Lagarrigue. Quel mal avaient-ils fait ?

Quelques arbres coupés valaient-ils bien qu’on s’attirât leur mécontentement ? Ce n’est pas comme voleur de pignes, c’est pour le manger en gibelotte qu’on chasse l’écureuil. Il eût fallu trente ans de séjour pour que l’endroit leur appartînt. On pouvait bien les tolérer là quatre, ou cinq, ou vingt ans. Si on les irritait, ils partiraient certes, sous la menace des gendarmes, mais ils ne partiraient pas sans vengeance. Ils mettraient le feu aux bois de par là ; mille ou cinq mille hectares de bois flamberaient. Alors il n’y pourrait rien, lui Lagarrigue, car il serait trop tard. Mais il était temps