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L’ILLUSTRE MAURIN

temps à autre, se croyant seul, sans doute à cause du grand silence de la mort, Pastouré s’oubliait, gesticulait, abaissant, levant sa lanterne, et à demi voix se murmurait à lui-même :

— À pied ou en charrette, couché dans la boîte et jambes raides ou marchant à côté et remuant les pieds, où allons-nous, tous ? Au même endroit… au trou. D’où viens-tu ? de la terre. Où vas-tu ? à la terre. Ainsi disent les boumians (bohémiens), et ils disent bien. Le pauvre y va. Le roi y va. Pourquoi, en chemin, se faire tant de misères ? Ta peine est grande, collègue ; pourquoi te l’augmentes-tu ? Tu avais le temps d’être heureux des choses, et tu te les es gâtées. Qu’y a-t-il avant ? qu’y a-t-il après ? Terre devant, terre derrière. Les curés disent qu’on recommence à vivre. Je calcule que c’est fini. Quoique, à la vérité, ce ne serait pas plus bête de revenir que d’être venu. S’il y avait quelque part de la justice, on la verrait et on ne la voit pas. Ma lanterne, en ce moment ici, ne me sert guère, puisque le soleil luit. Dans la nuit pourtant elle me servirait. Mais que me montrerait-elle que le soleil ne m’ait montré ? Enfants nous venons, enfants nous partons. La vieille est morte. Elle ne savait plus rien des choses de ce monde, la pauvre vieille, et cependant elle ne voulait pas mourir. Et pourquoi ne voulait-elle pas mourir ? Pour apprendre ! et on n’apprend rien ! Et si demain, et après-demain, et toujours, il fallait vivre… est-ce que moi je l’accepterais volontiers ? Non, ma foi ! foi de Pastouré ! Ce serait trop toujours la même chose… Toujours chercher des bécasses et toujours rencontrer des procès-verbaux ! C’est trop de souffrances. Le peuple souffre. Le peuple meurt. Les rois souffrent.