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première phase. La Brige[1], invité à une petite fête de famille, absorbe tour-à-tour du Léoville, du Mâcon, du Sauterne, du Champagne, du kirch, du vieux rhum, du cognac, de la bière et du punch. La Brige, que nous retrouverons plus loin parmi les persécutés-persécuteurs, n’est pas dénué de talents qui pourraient à l’occasion en imposer pour des qualités sérieuses. L’alcool lui donne un coup de fouet et il raconte lui-même comment les choses se sont passées : « je fis des mots, contai diverses anecdotes dont je savais l’effet certain, et tins la tablée tout entière sous le charme de mon esprit si franchement original et primesautier. »

Ici apparaissent la vanité, l’orgueil du buveur, mais sa conscience commence à s’anesthésier, quoiqu’il se contienne encore et cherche à dissimuler son état : « J’ai la chance, quand je suis pincé, de m’en rendre compte aussitôt, inappréciable avantage qui me met en situation de parer à la circonstance et de prendre toutes les mesures qu’elle nécessite ; je cache mon tabac, bois de l’eau à ras bords, et limite les frais de ma conversation à quelques réponses évasives et brèves, quitte… » et ici se montrent quelques autres symptômes, un léger embarras de la parole, et la diplopie, « quitte si un mot récalcitrant fait mine de s’empâter sur ma langue à tourner mentalement autour jusqu’à ce que j’en aie trouvé l’équivalent !!… Un pivot invisible imprimait à la table une rotation folle, et, sur les épaules des dineurs, les visages se dédoublaient, dansaient dans cette buée légère et tremblottante des poêles chauffés à l’excès ».

L’agitation physique de La Brige se manifeste par des tours de gymnastique qu’il exécute avec des chaises, puis il rosse le piano à coups de poing, enfin tourbillonne une valse. Mais l’ivresse s’est accrue peu à peu, et La Brige perd le sentiment de la réalité et le respect des convenances. Grimpé sur une chaise, il

  1. G. Courteline : Un homme qui boit (Potiron).