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mention plus détaillée, parce qu’il montre mieux l’absence de sens moral, l’égoïsme profond et l’indifférence complète à l’égard des sentiments et des intérêts, non seulement d’autrui, mais de ses proches, de sa propre famille.

« L’expéditionnaire Sainthomme[1] était un maigre personnage de qui le maladif visage, éternellement en moiteur, avait l’humidité jaune clair des pommes de terre crues fraîchement pelées. Entre les accrocs d’un veston encaustiqué ainsi qu’un meuble, il dissimulait tant bien que mal, l’attristante infamie de ses dessous : cette misère du linge qui, bon gré mal gré, tient à déclarer qu’elle est là, se révèle et s’affirme quand même en manchettes craquelées de gerçures, en faux-cols chevauchés de ces cravates sans nom que, seule, semble avoir décidées à n’être point cordons de soulier, une susceptibilité bête… Ce malheureux avait une famille : une fillette mi-aveugle ; un crapaud de cinq ans, éclopé, qui consolidait de béquilles son rachitisme précoce ; un dernier-né encore au sein dont le visage couleur de saindoux promettait, et une femme coiffée à la vierge, qui était devenue aphone pour avoir disputé trop de pièces de deux sous à l’âpreté des harangères… Ces gens vivaient… de bouillons arrachés les uns après les autres à d’inépuisables pots-au-feu ; — sans doute aussi de ces choux équivoques dont les abominables relents empuantaient avec une obstination digne d’éloges, le palier de leur cinquième étage », rue de l’Exposition, à Grenelle…

« N’importe, au milieu de cette détresse, Sainthomme baladait sa morne figure imperturbablement sereine, son importance de personnage chargé d’une mission officielle et les rides multiples d’un front qu’avait ravagé à la longue le sourd travail des hantises opiniâtres. Car cette âme avait son secret, cette vie avait son

  1. G. Courteline ; MM. Les Ronds-de-cuir.