Page:Ahern - Les maladies mentales dans l'œuvre de Courteline, 1920.djvu/48

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 50 —

depuis longtemps, son travail. Quoique les bureaux ferment à quatre heures, Letondu ne s’en va jamais avant dix heures, mais ce n’est pas pour travailler qu’il reste ainsi après ses camarades. Non, tantôt il garde l’immobilité pendant des heures, « les jambes en branches de compas » ; tantôt il monte et reste debout sur sa cheminée, « seul dans la nuit, effrayant et inexplicable » ; tantôt il exécute « dans la diagonale du bureau, des allées et venues de bête en cage, les mains aux reins et déchaussé ! »… Pour donner de la souplesse à ses poumons, il achète un clairon et « arrache à l’instrument des sons rauques, abominables, qui emplissent les corridors de meuglements de mastodonte égorgé. » Puis il imagine de renouveler des jeux de l’antique. « Il arriva un matin, une roue de wagonnet sous le bras dont il se mit à se servir comme d’un disque. Projetée à toute volée d’une extrémité à l’autre de la pièce, la lourde masse en fer en venait heurter la porte qu’elle défonçait peu à peu. » Un jour, « marchant sur les traces des athlètes lacédémoniens, qui s’oignaient d’huiles parfumées, il inventa de se badigeonner, depuis les pieds jusqu’à la tête, avec de l’huile de foie de morue ! »

Enfin il eut l’âme de Platon et résolut d’humilier l’administration en donnant désormais une somme de travail grotesquement disproportionnée avec la somme d’argent qui en était le salaire. Il entrait dans les bureaux, raflait la besogne sur les tables, enlevait aux expéditionnaires des dossiers volumineux et emportait le tout sous son bras sans un mot d’explication.

C’était plutôt simple… Seulement, l’économie administrative y laissait les yeux de la tête. Rien ou à peu près ne survivait du beau fonctionnement d’une maison sagement ordonnée naguère tombée depuis entre des mains furieuses, et devenue comparable à ces horloges détraquées dont s’immobilisent les rouages autour d’un cylindre affolé qui tourne, tourne, tourne sans cesse, atteint de rotation frénétique. Avec ça un symptôme plus grave à lui