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Courteline nous offre trois cas de déséquilibration particulièrement bien caractérisés.

Le premier,[1] est un vieil original qui, voyant un monsieur qu’il ne connaît pas d’ailleurs et n’a jamais rencontré, assis à la terrasse d’un café et fumant une pipe en écume de mer, se précipite sur lui et lui arrache la pipe de la bouche en criant : « Misérable fou ! » D’une voix tremblante d’indignation, il lui dit qu’une pipe en écume de mer ne se tient ni par le fourneau, ni par le tuyau, mais seulement avec la main gantée de fil, car le moutonneux du gant de Suède n’est rien moins qu’un antre à microbes, et le chevreau, par son glacis, est l’ennemi de l’écume de mer. Il expose que la pipe d’écume de mer, demande à être bourrée contrairement au fil du tabac et dans le sens de la hachure, vu les lois de la pesanteur, l’attraction des corps pour le centre de la terre etc, etc, etc ; d’où obligation absolue de pratiquer l’opération césarienne aux paquets de tabac de 50 centimes, sous peine d’exposer la pipe qui en recevrait le contenu, à se voir culotter comme par un cochon. Il discourt d’abondance, élevant de temps en temps vers le ciel, l’index de la conviction, et lâchant, par ci par là, des apophtegmes dans le goût suivant : « L’écume de mer est parcelle de Dieu », ou bien, « L’homme qui galvaude une pipe en écume de mer est un père qui conduit lui-même dans le sentier de la débauche, la vierge qui lui doit le jour » !… Il poursuit ses explications et ses conseils : « Pour bien culotter une telle pipe, il faut la fumer, deux, trois ou quatre fois par jour, mais toujours à l’heure précise où on l’aura fumée la veille, en ayant soin d’aspirer les bouffées à intervalles réguliers ; il ne faut jamais la fumer en plein air, mais dans une pièce bien close, carrelée en glaise de Hambourg (parce que celle-ci contient du chlorure de calcium qui absorbe l’humidité de l’air), et d’une superficie non supé-

  1. G. Courteline : L’Art de culotter une pipe (L’Esprit Français).