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présente rien de particulier à moins que l’on ne fasse entrer sa profession dans l’étiologie de la névrose qui nous occupe en ce moment, mais qui, en retour nous offre les principaux symptômes de la neurasthénie : émotivité, aboulie, pessimisme, dépression, préoccupation outrée de sa santé etc etc… Il est expéditionnaire dans un ministère, mais depuis quinze jours on ne l’a pas vu dans son bureau. On sait qu’il n’a pas été malade, parce que cinq fois le chef du bureau a envoyé le médecin du ministère prendre de ses nouvelles et cinq fois on lui a répondu qu’il était à la brasserie. Il explique à son chef qu’il a été retenu par des affaires de famille, qu’il a perdu son beau-frère. Mais le chef n’y coupe pas : « À cette heure, lui dit-il, vous avez perdu votre beau-frère, comme déjà il y a trois semaines vous aviez perdu votre tante, comme vous aviez perdu votre oncle le mois dernier, votre père à la Trinité, votre mère à Pâques !… Sans préjudice, naturellement, de tous les cousins, cousines et autres parents éloignés que vous n’avez cessé de mettre en terre à raison d’un au moins la semaine. Quel massacre !… non, mais quel massacre !… A-t-on idée d’une boucherie pareille ?… et je ne parle ici, notez bien, ni de la petite sœur qui se marie deux fois l’an, ni de la grande qui accouche tous les trois mois… »

M. Badin est très peiné de cette sortie et des menaces de renvoi de son chef de bureau ; il est très ému, et pour un peu, il pleurerait. « Je vois bien, monsieur, que vous n’êtes pas content, mais vous me faites de la peine ! Vous vous moquez de moi, vous me raillez…, si, si, vous me raillez. Vous êtes comme tous ces imbéciles qui trouvent plaisant de me taper sur le ventre et de m’appeler employé pour rire » et il commence la longue litanie de ses doléances et donne les raisons de son absence qui peuvent se réduire à l’aboulie, au pessimisme, à l’hypochondrie. « Avez-vous jamais réfléchi, monsieur le Directeur, au sort du pauvre fonctionnaire qui, systématiquement, opiniâtrement, ne veut pas aller