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lons noblement gagnés ; au fond, vieux gamin de caserne, il regrettait la chambrée, l’odeur violent de ses cuirs… Du reste, il frayait peu avec ses collègues… Il mangeait au mess par obligation, mais la dernière bouchée dans le bec, il filait doucement à l’anglaise et s’allait soûler dans son coin, au fond d’un obscur café… S’il n’avait que peu d’amitié pour ses collègues, il avait, en retour, un amour passionné pour ses hommes, où se sentait un fonds de vieille faiblesse fraternelle. Sous des dehors sévères, brusques, même un peu brutaux, se cachaient son bon cœur, son indulgence pour les peccadiles de ses hommes ; très fort pour le chambardement, ayant le coup de gueule facile, et, à la rigueur, le coup de botte, mais en fin de compte un bon soulard, incapable d’une méchanceté, et empli pour ses hommes d’une grosse tendresse brutale, une tendresse de garçon boucher pour le bull-dog dont il cingle les fesses de claques sonores et retentissantes »…

Au physique, grand de taille, le nez illuminé, des yeux de souris cerclés par l’alcool d’une braise incandescente, une haleine fleurant le bouchon et le fond de baril. Quand il était sous l’influence de l’absinthe, des discours incohérents transperçaient par instants les murs, des propos interrompus, scandés de jurons, marquaient la cadence de la phrase ; les éclats de sa voix remplissaient les cours immenses de la caserne ; dans les échos des corridors, ses bottes fiévreusement promenées, tapaient comme aux dalles d’une église…

Voici avec quel respect il préparait son absinthe : « Lui-même avait repris la carafe, et simultanément il arrosait les verres : trois gouttes pour l’un, trois gouttes pour l’autre, avec une parcimonie jalouse et calculée de vieil artiste méticuleux. Il y en eut pour cinq bonnes minutes. L’œil fixe, la main haute, imprimant à la carafe de petites secousses régulières, Hurluret ne soufflait plus mot, absorbé dans l’accomplissement d’un sacerdoce… »