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De cette observation peut se rapprocher celle de Jomard[1] qui, assis au pied d’un réverbère, pleure de rire en lisant le « Journal Officiel », puis injurie un agent, passant sans transition aucune de l’euphorie à l’irritabilité.

La quatrième et dernière observation de délire alcoolique aigu offre à étudier les symptômes de la deuxième et troisième phases de l’ivresse.

La Biscotte[2], cavalier de 1re classe, rentrait soûl, « plus soûl à lui seul que tout un régiment de bourriques polonaises », chaque fois qu’il avait obtenu une permission de minuit. Les suites de sa soûlerie le tenaient « huit jours hébété, dormant debout, avec des yeux couleur de faïence d’où le regard était parti ». Son ami Lidoire, son « pays », avait proclamé hautement que les choses se passeraient, le soir dont il est question, comme les soirs précédents. En effet, vers minuit et quart, une voix lugubre, qui gémissait : « Lidouère ! Lidouère ! », vint réveiller la chambrée endormie. C’était La Biscotte, ivre à rouler, ivre à ce point qu’il ne trouvait plus son lit et demeurait, hésitant, dans l’encadrement de la porte, secoué d’ivresse, les bras angoissés, cramponnés aux montants. L’embarras de la parole, la langue épaisse et empâtée, frappent dès les premières paroles : « Mon pauv’ieux… s’suis soûl comme eun’vache ! » Lidoire vient à son secours, « La Biscotte butait à chaque pas ; de ses bottes et de son bancal, il battait au passage le fer des couchettes, et il répétait : « S’suis-t’y soûl !… s’suis-t’y soûl !… bonsoir de bonsoir », avec dans le dire, une nuance de constatation satisfaite et admirative. » C’est, en effet, un des symptômes secondaires du délire alcoolique, que cette auto-admiration, cette constatation satisfaite, de pouvoir pousser la soûlerie à un tel degré de perfection. L’incoordination des mouvements est accompa-

  1. G. Courteline : Blancheton, père et fils.
  2. G. Courteline : Lidoire et la Biscotte.
     "  "   Lidoire, tableau militaire en un acte.