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On juge sans m’ouir, je pleure, on me desnie
Et l'oreille & les yeux, est ce pas tirannye ?
Fiere qui as dressé un orgueilleux empire
Sur un serf abatu, le courroux de ta main
Te ruine par moy & ce mesme martire
Au Roy comme au subject est dur & inhumain,
Car pour me ruiner, la main aveugle & tainte
En mon sang mest commune & la penne & la plainte.
Je voy’ qu’il n’est plus temps d’enfumer de querelles
Le ciel noircy, fasché de l'aigreur de mes pleurs,
Et moins fault il chercher des complaintes nouvelles,
Ny remèdes nouveaux à mes nouveaux malheurs.
Quoy donc ? ceder au sort & librement se rendre,
Et ne prolonger pas son mal pour se deffendre !
On voit le cerf, fuiant une meutte obstineée
A sa pennible mort, eslancé pour courir,
S’estre une fin plus longue & plus dure donnee
Que si dedans son lit il eust voulu mourir.
Non, je ne fuirai plus la mort, je la desire,
Et de deux grans malheurs je veux le moindre eslire.
Ores que la pitié de la Parque amiable
D’un eternel sommeil me vient siller les yeux,
Quand la mort en pleurant de mon malheur m'acable,
L'esprit se plaint de toy, vollant dedans les Cieux,
Et dit : vis en regret, vis coupable ennemye,
Autre punission tu n’auras que ta vie.
Tu diras aux vivans que ta folle inconstance
Te fit perdre celuy qui de l'or de sa foy
Passa tous les humains, que tu pers l'esperance
En perdant serviteur si fidelle que moy,
Di’ à ceulx qui vivront que mon amitié sainte
De rien que de la mort jamais ne fut esteinte,
Di’ encores à ceulx qu’une chaleur nouvelle
Embraze d’amitié, que sages en mes frais