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Mais un gris envieux, un tané de tristesse
Couvriront sans façon mon cors plain de sueurs :
Mon front batu, lavé des orages ne laisse
Les trasses & les pas du ruisseau de mes pleurs.
Croissez comme mes maulx, hideuse chevelure,
Mes larmes, arozés leur racines, je veulx,
Puis que l'acier du temps fuit le mal que j’endure,
L’acier me laisse horrible & laisse mes cheveulx.
Tout cela qui sent l'homme à mourir me convie,
En ce qui est hideux je cherche mon confort :
Fuiez de moy, plaisirs, heurs, esperence & vie,
Venez, maulz & malheurs & desespoir & mort !
Je cherche les desertz, les roches egairees,
Les forestz sans chemin, les chesnes perissans,
Mais je hay les foretz de leurs feuilles parees,
Les sejours frequentez, les chemins blanchissans.
Quel plaisir c’est de voir les vieilles haridelles
De qui les os mourans percent les vieilles peaux :
Je meurs des oiseaux gais volans à tire d’ailes,
Des cources des poulains & des saulx de chevreaux !
Heureux quant je rencontre une teste sechee,
Un massacre de cerf, quant j’oy’ les cris des fans ;
Mais mon ame se meurt de despit assechee,
Voians la biche folle aux saulx de ses enfans.
J’ayme à voir de beautez la branche deschargee,
A fouller le feuillage estendu par l'effort
D’Autonne, sans espoir leur couleur orangee
Me donne pour plaisir l'ymage de la mort.
Un éternel horreur, une nuit eternelle
M’empesche de fuir & de sortir dehors :
Que de l'air courroucé une guerre cruelle,
Ainsi comme l’esprit, m’emprisonne le cors !
Jamais le cler soleil ne raionne ma teste.
Que le ciel impiteux me refuse son œil,