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LXXXVI.

Par ses yeux conquerans fust tristement ravie
Ma serve liberté, en la propre saison
Que le soleil plus chault reprend sur l’orison
Sa course d’autre part qu’il ne l'a poursuivie,

Et au poinct proprement du soltice, ma vie
S’engageant par les yeux, enchaina sa raison,
Et garda des ce jour la chaine, la prison,
Les martyrs, les feux, les geenes & l’envie.

Je me sen’ en tout temps que c’estoit au plus haut
Des flambeaux de l’esté, puis que ce jour si chaud
Mille feux inhumains dans le sein m’a planté,

Sur qui l'hyver glacé n’a point eu de puissance :
Ma vie n’est ainsi qu’un eternel esté,
Mais je ne cueille fruict, espics, ne recompense.


LXXXVII.

On ne voit rien au ciel, en la terre pezante,
Au feu, en l'eau, à l’air, qu’en le considérant
Mon esprit affligé n’aille se martirant,
Et mon ame sur soy cruellyze insolente,

Quand une ame celeste, une paresse lente
A me donner la vie, un brandon devorant,
Une mer d’inconstance, & un esprit courant
Possedent la beauté qui seule me tourmente.

Elle a reçeu des cieux sa celeste grandeur,
Sa durté de la terre, & du feu la chaleur,
L’inconstance de l’eau, & de l’air la colerre,

Si que, belle endurcye, elle peut s’esgaller
D’ardeur, sans se brusler, d’inconstance legere
Au ciel & à la terre, à l’onde, à l’eau, à l’air.