Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LXXII.

Aprés avoir loué vos beautez ravissantes,
Et ce que vos beaux yeux, & ce que le miroir
Pour vous enorgueillir vous ont peu faire voir,
De nos afflictions les causes si puissantes,

N’abatardissez pas ses immortelles plantes :
Tant de belles couleurs ne soyent pour decevoir,
Ne trompez pas les yeux, prenez plaisir d’avoir
Et le sucre & le miel soubz les fleurs jaunissantes.

L’aigreur & l’amertume & suc empoisonneur
Sont aux herbes des champs, aux plantes sans honeur
Qui parent des deserts les solitaires plaines ;

Les arts, la nourriture, & l’origine en vous
Ne vous permettent pas autre fruict que le doux,
Ny de franches couleurs cacher de fauces graines.


LXXIII.

Nos desirs font d’Amour la devorante braise,
Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs,
Ses tenailles nos yeux, & la trempe nos pleurs,
Noz souspirs ses souffletz, & nos seins sa fournaise ;

De courroux, ses marteaux, il tourmente nostre aize
Et sur la dureté il rabbat nos malheurs,
Elle luy sert d’enclume & d’estoffe nos cœurs
Qu’au feu trop violent de nos cœurs il appaise,

Afin que l’appaisant & moüillant peu à peu
II brusle d’avantage & rengrege son feu.
Mais l’abondance d’eau peut amortir la flamme :

Je tromperay l’enfant, car pensant m’embraser,
Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m’enflame
Qu’il noyera sa fournaise au lieu de l’arroser.