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LXII.

Est-il donc vray qu’il faut que ma veuë enchantee
Allume dans mon sein l’homicide desir
Qui sait haïr ma vie, & pour elle choisir
L'aisé saccagement de ma force domptee ?

Puis-je voir sans pleurer ma raison surmontee
Laisser mon sens captif par la flamme perir ?
Puis-je voir la beauté qui me constraint mourir
Se rire en sa blancheur de moy ensanglantee ?

Je maudy’ les fiertéz, les beautez & les cieux,
Je maudy’ mon vouloir, mon desir, & mes yeux,
Je loueroy’ les beautez, cieux & perseverance,

Si la beauté vouloit animer sa pitié,
Si les cieux inclinoyent sur moy son amitié,
La dure fermeté, si elle estoit constance.


LXIII.

Comment veux-je que l’ame, & foible & desolée,
Commande à mon desir & corrige mes yeux
Eschauffez du divin & des forces des cieux
Contre qui toute force en vain est esbranlee ?

Comment peut l'ame humaine eschapper afolee
De la mesme rigueur qui fait cent fois les Dieux
Perdre leurs dignittez & mourir amoureux ?
O ame pour jamais destruicte, ensorcelee !

Je veux bénir les cieux, ma dame, & sa beauté,
Je beny mon desir, mes yeux, ma volonté,
Car ma perte me plaist, je me plais à ma flamme.

Les Cieux m'ont fait heureux d’aimer en si haut lieu :
Ma dame & sa beautés d’homme me font un Dieu,
Bruslent le corps pour mettre au ciel d’amour son ame.